Politique étrangère canadienne : De Harper à Trudeau : une équation à somme nulle?

Politique étrangère canadienne : De Harper à Trudeau : une équation à somme nulle?

La prise de pouvoir du gouvernement libéral de Justin Trudeau, en octobre dernier, marque la fin de l’ère conservatrice du gouvernement de Stephen Harper. Avec pour promesse de redonner au Canada ses lettres de noblesse sur la scène internationale, Justin Trudeau a clairement signifié ses intentions de réformer la politique étrangère canadienne (PEC) au lendemain de son élection le 19 octobre dernier. Pouvons-nous nous attendre à un virage radical de la PEC? Une certaine continuité est-elle à prévoir? Que pensent les militaires canadiens de ce changement de direction? (1)

Le Canada occupe une place bien particulière sur la scène internationale. D’une part, sa position géographique l’éloigne des guerres et lui assure une précieuse stabilité, et d’autre part, il est le voisin des États-Unis, la plus grande puissance économique et militaire. Rappelons que le Canada est un jeune État et que sa complète souveraineté concernant sa politique étrangère date de la déclaration de Balfour en 1926 qui, de l’initiative britannique, accordait l’autonomie complète à ses dominions pour leur politique étrangère. Nous sommes donc passés d’un dominion protégeant ou accompagnant l’Empire britannique dans ses campagnes impérialistes, à un pays à faible démographie se cherchant une identité dans le domaine de ses relations sur le plan international au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale.

L’internationalisme canadien, qui a marqué l’image du pays sur la scène internationale, « … se caractérise par un engagement constructif du Canada à l’égard des peuples, des organisations et des États dans la poursuite de solutions face à des défis et des problèmes globaux » (2). Le rayonnement de sa puissance douce(3) s’est réellement mis en place avec la Crise de Suez en 1956 et la création des Casques bleus, suite à la résolution présentée par le ministre canadien des Affaires étrangères Lester B. Pearson. Par la suite, avec les gouvernements de Trudeau, Mulroney, Chrétien et Martin, le Canada a bâti son image de gardien de la paix, de médiateur et de « royaume paisible ».

Nous verrons que la venue d’un gouvernement libéral ne touchera pas nécessairement le cœur des orientations canadiennes au niveau de sa politique étrangère et que les principaux changements concernent principalement le discours officiel du pays. Dans un premier temps, nous aborderons les principaux points de rupture durant la décennie Harper ainsi que leurs impacts sur l’image du Canada à l’étranger. Dans un deuxième temps, nous allons décortiquer les différents mythes qui ont forgé la PEC ainsi que l’identité du pays. À quoi fait-il référence? Nous terminerons par une entrevue avec Nicolas Laffont, rédacteur en chef de 45eNord.ca qui nous trace un portrait de la situation actuelle au sein des Forces armées canadiennes et des changements au sein de la chaine de commandement.

L’héritage de l’ère Harper dans la politique étrangère canadienne

Afin de bien saisir les différents enjeux et points de rupture de l’ère Harper, L’Esprit libre a rencontré Marc-André Anzueto, doctorant, chargé de cours à l’UQAM et spécialiste des problématiques de la PEC en Amérique latine. Selon lui, le principal héritage de l’ère Harper concerne la redéfinition du Canada comme puissance : « Le Canada est passé d’une puissance moyenne multilatéraliste à une puissance énergétique à caractère impérialiste. » Cela s’illustre concrètement par l’attitude des minières canadiennes dans le monde, l’importance accordée à l’industrie pétrolière ou par le rejet du protocole de Kyoto, pour ne nommer que ces exemples.

Les principales caractéristiques de ce changement de paradigme de la PEC passent par une réaffirmation des alliances dites « réalistes », avec les États-Unis et Israël notamment. Lors d’un colloque organisé par le Centre d’études et de recherches internationales (CÉRIUM) en octobre dernier, Justin Massie, professeur à l’UQAM et directeur de recherche du Centre interuniversitaire de recherche sur les relations internationales du Canada et du Québec (CIRRICQ), ajoute qu’il y a une redéfinition du Canada comme puissance guerrière (axée sur le hard power). De plus, il mentionne l’insertion de la notion de la supériorité morale qui met fin au relativisme qui a régné durant l’âge d’or de l’internationalisme canadien. Ces trois points ont pour principale conséquence un repli sur soi et un effritement de l’image de faiseur de paix du Canada.

L’une des raisons de ce changement de paradigme repose sur un clientélisme électoral. En effet, en réalignant la PEC sur celle des principaux alliés du Canada (du moins, de la frange conservatrice canadienne), notamment Israël et les États-Unis, le gouvernement Harper a espéré séduire un électorat issu des communautés culturelles (la communauté juive ou ukrainienne par exemple). M. Anzueto souligne également, lors de notre entretien, la volonté de transformer les pensées quant à la PEC. Il s’agit de teinter la PEC d’une idéologie néoconservatrice en rupture avec l’internationalisme libéral qui était « l’image de marque » du Canada. La notion de supériorité morale est très présente lorsque l’on analyse la politique étrangère sous Harper, nous souligne le chercheur, et cette supériorité morale tend fortement vers une approche manichéenne des alliances.

Un autre axe de rupture, en lien avec cette croyance en la supériorité morale canadienne, touche la promotion des droits humains (DH) : « Contrairement à la dichotomie libérale-réaliste inhérente à la culture stratégique internationaliste qui permet une certaine élasticité en matière de DH, les fondements idéologiques du néocontinentalisme marquent une rupture importante en matière de moralité internationale. » (4) (5). M. Anzueto ajoute que la question des droits humains, sous l’ère Harper, a été subordonnée aux intérêts commerciaux et aux alliances traditionnelles. Il s’agit donc, en d’autres mots, de « choisir » où réclamer le respect des droits humains en fonction de nos intérêts réalistes.

Le mythe de la politique étrangère canadienne : au service de l’unité nationale

Nous présenterons ici des mythes qui sont directement liés à la notion de soft power du Canada et de sa capacité d’influence. En effet, Justin Massie et Stéphane Roussel dans leur article Au service de l’unité : le rôle des mythes en politique étrangère canadienne, soulignent que les mythes « représentent une dimension incontestable (ou sacrée) et historique du récit identitaire plus vaste qui les entoure et qui donne un sens aux expériences d’une société » (6). Les deux auteur-e-s parlent d’une « identité libérale canadienne » qui se caractérise par son multiculturalisme et son cosmopolitisme. Un autre élément important concerne la préservation de l’identité canadienne par rapport à son voisin américain. Cela se concrétise par le multiculturalisme, comme nous l’avons mentionné, en contradiction avec le communautarisme ou le melting pot typiquement américain.

Parmi les trois principaux mythes analysés par les auteur-e-s, il y a d’abord celui du « paisible royaume » basé sur l’image d’un Canada antimilitariste. Le Canada se perçoit, et est perçu, comme une nation pacifiste apte à exporter la paix par l’exemple. Le deuxième mythe traité est celui que le Canada est un « champion du maintien de la paix ». Ce mythe prend principalement ses sources dans de la crise du canal de Suez grâce au rôle du pays dans la médiation, mais surtout grâce à sa force d’interposition non combattante déployée sous la bannière de l’ONU. Cette image a été gravement atteinte par la nouvelle orientation du gouvernement Harper, lors de la mission en Afghanistan, qui était plus axée sur les combats que sur le maintien de la paix. Finalement, le troisième mythe mentionné par M. Massie et Mme Roussel traite du Canada comme pays « médiateur ».

Ces mythes ont donc contribué à forger l’identité canadienne. Marc-André Anzueto conclut, dans son article Instrumentalisation des droits humains en politique étrangère canadienne, en étudiant le cas du Guatemala depuis les années 80, à la « (…) constante instrumentalisation avec les intérêts tant dans une culture stratégique internationaliste que dans une idéologie néoconservatrice » (7). Nous constatons en effet que la PEC a toujours servi à faire valoir le soft power ou l’impérialisme canadien en utilisant la question des droits humains.

De réels changements sur le terrain?

Dans le but de comprendre les changements concrets sur le terrain, nous avons interviewé Nicolas Laffont, rédacteur en chef de 45enord.ca et journaliste spécialisé en questions militaires.

Q : Qu’en est-il des différents théâtres d’opérations où les Forces canadiennes sont déployées?

R : Pour l’instant, il n’y a pas de grands changements perceptibles sur le terrain. Les engagements du Canada ne s’annulent pas avec l’élection d’un nouveau gouvernement et il est à prévoir que le gouvernement de Justin Trudeau ira jusqu’au bout du mandat de la mission aérienne du Canada qui se termine le 31 mars. Par contre, ce qui est intéressant de noter est le changement au niveau de l’image que le Canada projette. Les diplomates ont retrouvé leur autonomie et c’est au niveau du discours du Canada que les principaux changements se font sentir. Nous pouvons prévoir un Canada qui réinvestit les institutions internationales comme l’ONU et l’OTAN. On sent un retour du discours du Canada faiseur de paix.

Q : Nous ne devons donc pas nous attendre à des changements majeurs dans les prochaines semaines?

R : Non, nous verrons peut-être une transition au niveau aérien avec plus d’avions de ravitaillement et autres de ce type. Nous en sommes encore au stade des consultations et de la mise en place d’un plan de match « libéral ». Ce que nous pouvons prévoir par contre est un réalignement des actions canadiennes vers des missions de formation et d’assistance. Nous verrons donc peut-être des soldats canadiens en territoire kurde afin de mener des missions d’entraînement.

Q : Au sein des membres des Forces canadiennes, l’arrivée d’un gouvernement libéral est-elle bien vue?

R : L’accueil des soldat-e-s est très mitigé. On sent un fort courant antilibéral au sein des Forces qui se traduit sur les réseaux sociaux par des propos haineux ayant même mené, dans certains cas, à des mesures disciplinaires. Les membres des Forces canadiennes se sentaient soutenu-e-s par le gouvernement Harper, ce qui est particulièrement paradoxal puisque, dans les faits, le gouvernement conservateur a coupé dans le budget de la défense. On a souvent parlé des « années sombres » des Forces durant les années 90, sous le règne libéral, mais lorsque l’on regarde les chiffres, la réalité est tout autre. Il s’agit donc de regarder du côté du discours du gouvernement Harper, beaucoup plus « pro militaire » dans l’ensemble, qui a séduit ses membres.

Conclusion

Nous avons vu, tout au long de cet article, les différents points de rupture du gouvernement Harper, durant sa décennie au pouvoir, ainsi que les principaux points d’ancrage de l’identité canadienne par ses mythes et son imaginaire collectif. Nous sommes donc à présent en mesure de constater que le point particulièrement sensible, au niveau de la PEC, se trouve dans la construction du discours et de l’image du Canada. Nous avons noté que dans les faits, le Canada, sous l’ère Harper, et maintenant, sous le gouvernement Trudeau, met beaucoup plus l’accent sur son image que directement sur les actions. Le principal enjeu, croyons-nous, pour les décideurs canadiens, se situe au niveau du maintien de leur influence sur la scène internationale. Nous avons vu brièvement que l’influence canadienne peut se manifester de manière plus réaliste par une réaffirmation de nos alliances traditionnelles, un certain impérialisme commercial et une conception du monde beaucoup plus manichéenne axée sur le hard power. Nous avons constaté que cette vision du monde entrait en contradiction avec la vision internationaliste canadienne qui insiste davantage sur les plateformes décisionnelles transnationales (l’ONU ou l’OTAN par exemple) et qui accorde plus d’importance aux droits humains et aux opérations de maintien de la paix. Elles sont habitées d’objectifs, tout comme la vision conservatrice, tels que le rayonnement du soft power canadien dans le but de garder le Canada à l’avant-plan des grandes décisions.

Sommes-nous donc devant un gouvernement qui créera une nette scission en matière de politique étrangère? Au-delà du discours et de l’image, c’est la mise en œuvre des politiques de Trudeau qui servira d’étalon pour mesurer le changement avec son prédécesseur conservateur. Les prochains mois en Syrie seront révélateurs et en diront long sur le type de rôle que le Canada y jouera.

(1) Nous tenons à remercier Marc-André Anzueto et Nicolas Laffont pour leur précieuse collaboration.  

 (2) Copeland, D., 2013. Once were diplomats: can Canadian internationalism be rekindled? In : H.A. Smith and C. Turenne-Sjolander, eds. Canada in the world: internationalism in Canadian foreign policy. Oxford : Oxford University Press, p. 125-144  

 (3) « Les notions de hard et de soft power (puissance dure, de contrainte, de commandement, de coercition et puissance douce, de cooptation, de séduction) sont dues à Joseph S. Nye, Le leadership américain. Quand les règles du jeu changent, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 1992. La notion de structural power (puissance structurelle) est due à Susan Strange, States and Markets, Londres, Pinter, 2e éd., 1994. Au-delà de leurs spécificités, ces notions peuvent être assimilées : la première est définie par Joseph S. Nye comme la capacité de « structurer une situation de telle sorte que les autres pays fassent des choix ou définissent des intérêts qui s’accordent avec les siens propres  » (J. S. Nye, op. cit., p. 173); la seconde est définie par Susan Strange comme « la capacité de façonner et de déterminer les structures de l’économie politique globale au sein desquelles les autres [acteurs] doivent opérer » (S. Strange, op. cit., p. 24-25). Exemple très concret de l’efficacité de cette puissance douce et/ou structurelle dont bénéficient les États-Unis de nos jours : toute insatisfaite qu’elle soit, la principale puissance ascendante qu’est la Chine a demandé son intégration à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), organisation s’il en est de la régulation du système international géré par les États-Unis. » Définition issue du texte de Dario Battistella, L’Ordre internationalhttp://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2004-2-page-89….  

 (4) Anzueto, Marc-André, « Instrumentalisation des droits humains en politique étrangère canadienne? Le crépuscule de l’internationalisme et l’émergence du néoconservatisme au Guatémala », Études internationales, vol 45 no 4, 2014,  p.60  

 (5) Le néocontinentalisme, conçu comme l’expression du néoconservatisme serait ainsi caractérisé par « la nécessité d’exercer la clarté morale », c’est-à-dire de « distinguer amis et ennemis (l’une des attitudes du néoconservatisme tel qu’il est articulé par Irving Kristol) ainsi que Bien et Mal, et de prendre les moyens d’agir contre les seconds » (Ibid. : 11). De ce fondement découlerait une série de « principes opératoires ». Une politique étrangère de clarté morale identifie les intérêts aux principes : il faudra donc promouvoir la démocratie dans le monde. Le renforcement de la puissance militaire est capital, car la puissance permet la lucidité requise pour identifier les menaces (le « Mal ») et agir contre elles. L’hégémonie américaine est bénigne et les institutions internationales qui tentent de la limiter font objet de méfiance. À cet effet, le Canada doit être prêt à faire usage de la puissance afin de « défendre l’ordre hégémonique américain » (12). Dorion-Soulié, Manuel, « Introduction : Les idées mènent le Canada : l’idéologie néoconservatrice en politique étrangère canadienne », Études internationales, vol. 45, numéro 4, 2014, p. 508.

(6) Idem, p. 71.

(7) Anzueto, Marc-André, « Instrumentalisation des droits humains en politique étrangère canadienne? Le crépuscule de l’internationalisme et l’émergence du néoconservatisme au Guatémala », Études internationales, vol 45¸ no 

COP21: Les provinces ont le champ libre

COP21: Les provinces ont le champ libre

Les provinces ont un rôle de premier plan à jouer dans la lutte canadienne aux changements climatiques, mais elles doivent harmoniser leurs efforts, d’après des experts de l’Institut des sciences de l’environnement de l’UQAM.

La conférence des parties sur le climat se termine aujourd’hui à Paris. Ce sommet a pour objectif d’adopter un accord universel et contraignant afin de lutter contre les changements climatiques. Des dirigeants de tous les pays du monde sont réunis pour conclure un accord.

Parmi les objectifs annoncés par le premier ministre Justin Trudeau figure la liberté accordée aux provinces canadiennes de mettre sur pied leur propre plan d’action pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Le fédéral n’imposera donc pas de plan environnemental à l’échelle nationale.

D’après le professeur à l’Institut des sciences de l’environnement de l’UQAM (ISE), Laurent Lepage, il s’agit d’une annonce de bon augure. Selon lui, le fédéral n’a pas le choix de se fixer cet objectif. « Dans la compétence des provinces, il y a les enjeux comme les transports, la gestion des ressources naturelles, l’agriculture. Ce sont des éléments clés dans la réduction de la production de gaz à effets de serre », explique-t-il. Les émissions de gaz à effet de serre provenant des transports et de l’agriculture représentent ensemble 28% des émissions à travers le monde et la production d’énergie 35% [1]. Les provinces ont donc intérêt à participer activement à la recherche de solutions pour freiner le réchauffement du climat.

Le terrain d’entente devient glissant parce que chaque province a des contraintes particulières. « C’est extrêmement difficile d’avoir une solution d’un océan à l’autre », croit Laurent Lepage. Les provinces peuvent toutes contribuer d’une manière différente dans le dossier de la réduction des gaz à effet de serre, donc le fédéral peut difficilement adopter une ligne directrice qui s’applique à chacune d’entre elles. « La solution aux problèmes se trouve dans l’harmonie des efforts entre les provinces », soutient l’expert. Le but est donc que tous les gouvernements provinciaux adoptent leur propre stratégie en collaboration avec les autres provinces. À titre d’exemple, le Québec serait en mesure d’adopter des politiques pour développer davantage le transport en commun et l’Alberta pourrait utiliser des ressources énergétiques propres pour remplacer ses centrales au charbon.

Pour Sebastian Weissenberger, également professeur à l’Institut des sciences de l’environnement de l’UQAM, trouver un plan à l’échelle nationale est toujours épineux. « C’est peut-être une raison qui explique que le Canada est un cancre [dans la lutte aux changements climatiques]. Les gouvernements précédents voyaient mal comment les provinces pouvaient se mettre d’accord sur un plan d’action », pense-t-il.

Harmonie des efforts

Les enjeux sont donc variables à l’intérieur du pays. Les réalités de l’Alberta ou de la Saskatchewan sont bien différentes des réalités du Québec et de l’Ontario. C’est l’addition des efforts qui apportera un changement réel et qui contribuera à concrétiser les objectifs canadiens. Les provinces représentent des pions qui ont des rôles différents à jouer sur la planche de jeu de la lutte canadienne aux changements climatiques et qui, en réunissant leurs forces, feront une différence. Le Québec comparativement à l’Alberta produit six fois moins de gaz à effet de serre par personne. Cet écart s’explique par la présence des nombreuses centrales au charbon et des sables bitumineux en Alberta alors que le Québec mise sur l’hydroélectricité qui produit très peu de CO2. La province de l’ouest jongle donc avec la question d’endiguer la production de gaz à effet de serre tout en maintenant son économie.

Un moyen d’y parvenir serait d’imposer une taxe sur le carbone. De ce fait, toutes les installations qui dépassent le plafond d’émissions de CO2 imposé devront payer une amende pour chaque tonne suplémentaire. Cette mesure vise à encourager les industries à diminuer leurs émissions. De l’avis de Laurent Lepage, il s’agit d’un projet de longue haleine, pourtant réalisable avec la première ministre Rachel Notley à la tête de la province. « Il est clair qu’on ne peut pas changer complètement l’économie de direction du jour au lendemain, affirme-t-il. Mais c’est un défi que l’Alberta accepte avec la première ministre actuelle ».

La solution efficace consisterait à étendre cette taxe sur tout le territoire et pas seulement en Alberta, d’après Sebastian Weissenberger. Il admet que plus il y aura de joueurs à la table, plus il y risque d’y avoir de changements concrets. Si les impacts seraient moindres au Québec qu’en Alberta dû aux faibles émissions québécoises de gaz à effet de serre, Sebastian Weissenberger insiste sur le fait qu’une équité des efforts doit s’opérer à travers le pays. « C’est un choix politique qui a été fait à un certain moment que de développer les sables bitumineux, mais on ne peut pas dire à l’Alberta qu’ils ont fait de mauvais choix et tant pis pour eux alors que nous on a choisi l’hydroélectricité », précise-t-il. L’Alberta paierait certainement une grosse facture, mais pour le professeur de l’ISE, les changements s’effectuent généralement là où le prix est le plus élevé.

Il n’y a pas que sur les sables bitumineux et sur les centrales au charbon que le Canada peut concentrer ses efforts pour s’attaquer à sa production de gaz à effet de serre. « Il y a du travail à faire au fédéral, au provincial, mais aussi aux niveaux régional et local », affirme monsieur Weissenberger. La majorité de la population canadienne habite dans les villes qui sont des maîtres en production de CO2 que ce soit pour le chauffage, l’éclairage ou le transport. « Réaménager les villes de manière à s’attaquer à ces problèmes est une initiative locale pertinente », précise-t-il.

Depuis une dizaine d’années, le Canada n’a pas la cote en matière de diminution des émissions de gaz à effet de serre. Les experts soutiennent que le vent risque de tourner. Le nouveau gouvernement de Justin Trudeau « réalise mieux les enjeux et l’importance de léguer à nos enfants une planète comme nous l’avons reçue de nos parents, pense Laurent Lepage. Il y a de la bonne volonté ce qui n’était pas le cas sous Harper ». Le défi du Canada pour voir ses objectifs se concrétiser est donc de partager les efforts et de les faire converger vers une cible nationale pour lutter de manière efficace contre les gaz à effet de serre.

[1] http://www.cop21.gouv.fr/comprendre/cest-quoi-la-cop21/le-phenomene-du-d…

Entrevue avec Russell Diabo: Les années Harper chez les Premières Nations

Entrevue avec Russell Diabo: Les années Harper chez les Premières Nations

Selon une majorité des représentants des Premières Nations, le gouvernement Harper a été défavorable à celles-ci, lesquelles ont accusé plusieurs chocs au niveau politique. Nous nous sommes entretenus avec Monsieur Russell Diabo, conseiller politique mohawk pour plusieurs Conseils de bande de l’Ouest et de l’Est de l’Ontario, afin qu’il nous explique comment ces dix années de règne des Conservateurs ont affecté leur situation au Canada.

Monsieur Diabo a été conseiller à l’Assemblée des Premières Nations pendant un certain temps dans les années 1980 et 1990, ainsi que pour plusieurs Conseils de bande en Colombie-Britannique de 1998 à 2001.

Q. Qu’est-ce qui a été le « pire » durant cette dernière année pour les Premières Nations sous le gouvernement Harper?

R. Je pense que la pire chose que le gouvernement Harper ait fait aux Première Nations durant la dernière année a été d’introduire unilatéralement une politique provisoire (interprétation constitutionnelle) dans la section 35 [NDLT : de la Constitution canadienne] sur les revendications territoriales globales et d’autonomie. Cette politique provisoire introduit une notion de « réconciliation » avec les Premières Nations en proposant une position de négociation injuste et unidirectionnelle qui ne tient pas compte des instructions de la Cour suprême du Canada sur les décisions prises dans les cas Haida Delgamuukw (1) et Tsilhqot’in (2), qui établissent un cadre légal pour la reconnaissance et l’établissement des titres ancestraux et des droits autochtones ainsi qu’une procédure de consultation/d’accommodement jusqu’à ce que le droit autochtone ait été établi, soit à travers des négociations ou une décision de la Cour.

Q. Quels sont les principaux enjeux qui préoccupent les Première Nations durant la campagne électorale de 2015?

R. Pour les Premières Nations, il y a toute une variété d’enjeux dont il faut se préoccuper, des problèmes concernant des programmes et des services nécessaires pour améliorer les piètres conditions sociales et économiques [NDLT : des Premières Nations] comme l’éducation, le logement et les infrastructures en santé, à la reconnaissance des droits territoriaux et de l’autonomie, [NDLT : en passant par] une enquête sur les femmes et jeunes filles autochtones disparues ou assassinées. Lesquels sont tous inclus dans les recommandations de la Commission de vérité et réconciliation (3).

Q. Quels sont les principaux changements que vous souhaiteriez voir amenés par un nouveau gouvernement?

R. Je pense qu’il doit y avoir des changements structuraux fondamentaux au Canada pour corriger les effets de non seulement l’héritage des pensionnats indiens mais également du sous-développement et de la pauvreté des communautés des Premières Nations sous la Loi des Indiens, raciste et coloniale, dont se sert encore le gouvernement pour contrôler et gérer les Premières Nations jusqu’à ce que l’assimilation fasse son œuvre. Je suis d’avis que la Constitution doit être ré-ouverte pour reconnaître explicitement que l’autonomie est un droit intrinsèque aux Premières Nations et que les Premières Nations doivent être reconnues comme un ordre distinct de gouvernement au Canada.

Q. À quoi doit-on s’attendre si Harper remporte les élections?

R. Je suis d’accord avec le juge Murray Sinclair, président de la Commission de vérité et réconciliation, qui a récemment dit à l’Assemblée des Premières Nations que le Canada se dirige vers d’autres confrontations comme celle d’Oka si le Canada continue d’ignorer les droits ancestraux et issus de traités, ce qui a été l’approche du gouvernement Harper depuis les 10 dernières années. Donc, si Stephen Harper est à la tête du nouveau gouvernement après le 19 octobre, nous verrons vraisemblablement des conflits entre les Premières Nations et le Canada au sujet des projets d’extraction des ressources [naturelles], qui ont été largement développés sans que les Premières Nations aient été consultées ou aient donné leur accord.

Q. Pensez-vous que les Premières Nations sont plus impliquées en politique maintenant qu’auparavant?

R. J’observe qu’il y a définitivement plus de chefs et d’individus des Premières Nations militant pour le vote pour ces élections fédérales que ce que j’ai jamais vu à travers le Canada. Ceci semble être motivé par le mouvement « À bas les Conservateurs! », qui désire se débarrasser de Stephen Harper et de son Parti conservateur.

Q. Quel message aimeriez-vous transmettre aux Canadiens à propos des Premières Nations et de leur place dans la sphère politique?

R. Je crois que, à l’approche du 150e anniversaire de la Confédération canadienne, en 2017, c’est le moment pour les gouvernements canadiens (fédéraux et provinciaux) et la société canadienne de reconnaître leur histoire raciste et coloniale et ses effets sur les Premières Nations, sinon il y aura peu de choses à célébrer pour les Premières Nations, et la réconciliation entre le Canada et les Premières Nations ne sera probablement pas près de se produire.

Traduit de l’anglais par Émilie Larson Houle

(1) http://www.bctreaty.net/files/pdf_documents/delgamuukw.pdf (2) http://www.lavery.ca/publications/nos-publications/1819-decision-de-la-c… (3) http://www.trc.ca/websites/trcinstitution/index.php?p=15

Le 9 octobre 2015, une marche pour contrer le silence

Le 9 octobre 2015, une marche pour contrer le silence

Dans le but de faire entendre leurs voix, les chefs des Premières Nations se rassemblent le 9 octobre 2015 au Cabot Square, à Montréal, lieu reconnu pour les rassemblements des autochtones en milieu urbain. L’objectif est de mettre les questions autochtones sur le lieu public pour faire contrepoids au silence concernant celles-ci depuis le début de la campagne électorale fédérale. Ainsi, tous et toutes sont invité.e.s à se joindre à cette rencontre pacifique.

Marie-Claude Belzile de l’Esprit libre a eu la chance de s’entretenir avec Ghislain Picard, Chef des Premières Nations du Québec et du Labrador.

Q. Quelle est l’intention derrière cette rencontre?

R. L’intention est de faire en sorte qu’on puisse affirmer haut et fort que les enjeux ont leur place dans la campagne électorale, à 10 jours du vote. Certains partis ont tendance à penser que la question autochtone n’est pas nécessairement importante. On veut s’assurer que la question demeure à l’ordre du jour.

Q. Selon vous, quelle est l’importance des prochaines élections pour les Premières Nations?

R. On vient de traverser une décennie de pouvoir des conservateurs avec très peu sinon aucun résultat sur beaucoup de questions qui nous préoccupent au niveau populaire et social. On constate que 9 personnes autochtones sur 10 veulent changer le gouvernement actuel. Le processus politique étant ce qu’il est, on veut mettre nos cartes sur table pour le lendemain des élections. On veut savoir comment [on fera] pour se donner un plan, un processus pour y arriver. On veut savoir quelles sont les bases essentielles pour repartir sur un bon pied avec le prochain gouvernement. C’est une question de relation et de retrouver une confiance mutuelle entre Canadien.ne.s et autochtones. Retrouver un cadre entre Premières Nations et Canadien.ne.s. La relation est unique, personne au pays ne peut prétendre avoir à répondre à un cadre spécifique, et pourtant c’est le cas des Premières Nations. On veut un réengagement entre les communautés et le gouvernement fédéral. Il y a énormément de travail et de défis qui se présentent à nous et au gouvernement à venir.

Q. Comment réagissez-vous au silence des chefs des partis sur les questions touchant les Premières Nations?

R. Après le troisième débat [des chefs] on a réagi en disant « est-ce que la question autochtone est si peu importante que le niqab l’emporte sur nos enjeux? ». C’est une façon de provoquer le débat autour des enjeux qui nous intéressent. On a demandé à TVA, pour leur débat télévisé en français, si ce n’était pas possible d’inscrire une question sur les Premières Nations, ils sont restés silencieux, on n’a pas obtenu de réponse. Et des chefs de parti, deux sur cinq vont peut-être annoncer quelque chose dans les heures, les jours qui suivent, mais c’est tout. Il y aussi a le silence des médias. Il y a une responsabilité à ce niveau-là, mais il n’y a jamais de continuité [de leur part]. Les médias sont souvent en déroute sur les questions que nous considérons fondamentales. Qu’est-ce qui fait, en 2015, que nos peuples soient très loin en arrière [de la majorité canadienne] sur le plan socioéconomique? Et personne ne semble scandalisé. On veut ramener ces questions à l’avant plan, et si les médias ne font que les effleurer, [on n’y arrive pas]. Les Canadiens et canadiennes doivent être davantage informé.e.s. On trouve cette réalité injuste et triste, on est forcés de toujours répondre comme si nous étions le fardeau de la preuve. Il faut que les tables soient tournées et que l’odieux de la preuve soit retourné au gouvernement.

Q. Que pensez-vous de la déclaration qu’a fait Gilles Duceppe mercredi dernier en affirmant que « Il est impossible de construire le Québec sans les Premières Nations »?

R. J’ai eu l’occasion de rencontrer M. Duceppe, le seul chef de parti que j’ai rencontré, malgré que nous ayons envoyé un message à tous les chefs de partis… On voulait une place pour nos enjeux dans leur campagne, on a attendu des mois avant d’avoir des réponses de leur part. M. Duceppe est le seul à avoir convoqué une rencontre. Ce que je dénote du commentaire de M. Duceppe, et il y a de plus en plus une opinion généralisée comme quoi le Québec n’est pas prêt à son indépendance, c’est que les autochtones doivent être inclus [dans une démarche vers la souveraineté québécoise]. Pour nous, il doit y avoir un règlement sur la question du territoire, sur la question du titre sur le territoire, sur la place des Premières Nations dans un Québec indépendant, etc. Les Premières Nations auraient-elles la possibilité de déterminer leur propre avenir dans un Québec indépendant? Tout ceci demeure une question non-résolue. Les débats souverainistes ont pris du recul, nous sommes donc moins interpelés par cela qu'[on l’était] en 1995. On veut faire progresser le débat, et laisser savoir que les Premières Nations ont leur place dans l’avenir.

Q. Comment se décrirait un parti engagé auprès des Premières Nations?

R. La condition première c’est qu’on puisse confirmer qu’il ne peut pas y avoir d’engagement sans reconnaissance d’une relation de nation à nation. Une des autres questions est : « est-ce que dans la relation on pourra sortir du contexte législatif duquel on est prisonniers et dont on dépend, et qui impose une façon de faire et une idéologie? Le défi se pose face à la définition qu’on donne à la notion de partenariat. Comment la mettre en pratique? Quelles sont les conditions idéales pour les deux parties? Celui qui méritera la faveur des autochtones, c’est celui qui va en quelque sorte trouver la meilleure façon de favoriser une relation et un engagement immédiat et continu dès le lendemain du vote. La question autochtone doit être incontournable au pays. C’est un processus en continu qui devra donner un plan de A à Z pour redresser la situation socioéconomique de nos communautés.

Q. Quelles sont les plus lourdes conséquences de ces dix dernières années sous le gouvernement Harper?

R. Avant l’ère Harper, on avait les libéraux avec Paul Martin et on se doit de reconnaître qu’il y a eu des efforts lors du mandat de M. Martin. En 2005,  l’accord de Kelowna (1) sur les apports financiers pour le logement, la santé, l’éducation, etc., avait été conclu avec tous les représentants autochtones. Du jour au lendemain, les Conservateurs sont arrivés au pouvoir et l’accord de Kelowna est devenu poussière. Rapidement, en quelques semaines, le gouvernement Harper a aussi annulé un programme de soutien aux Premières Nations : 160 millions disparus. C’était un geste qui était sans doute précurseur des années suivantes. Il n’y a pas eu une année depuis Harper où il n’y a pas eu un dossier qui a amené une réaction négative de la part des Premières Nations. La dernière année a été assez tumultueuse, on a critiqué le dernier projet de loi, C-33 (2), d’un bout à l’autre du pays. On a été victimes d’une idéologie paternaliste du gouvernement.

Q. Quel est votre impression sur le vote du 19 octobre prochain en lien avec les Premières Nations?

R. Le vote ira selon les régions à l’échelle du pays. Il y a des questions importantes au sujet du vote, certains veulent voter, d’autres non. Il y a un débat sensible autour de la citoyenneté canadienne et des Premières Nations. Y’a des nations qui ne jurent que par leur souveraineté. C’est difficile de dire quelle sera la participation des autochtones cette fois-ci. La moyenne de participation devrait toutefois être plus importante que les dernières années. Avant c’était autour de 40% de participation, ce devrait beaucoup plus important cette année.

(1) http://www.encyclopediecanadienne.ca/fr/article/accord-de-kelowna/

(2) https://www.aadnc-aandc.gc.ca/fra/1358798070439/1358798420982