par Alexandre Dubé-Belzile | Mai 28, 2019 | Idées, Societé
Quelques pistes de réflexion
Notre article s’inscrit en quelque sorte dans la foulée des questionnements lancés par Noam Chomsky dans les années 1980 avec Manufacturing Consenti, ouvrage qui mérite grandement une mise à jour. Notre question est la suivante : dans quelle mesure pourrions-nous libérer l’hypertexte, et les médias qui en dépendent, des contraintes imposées par le système capitaliste international? Dans un premier texte, nous avons abordé les espoirs déçus de la « révolution numérique » et, plus précisément, de l’hypertexte. Nous avons aussi traité des dynamiques de contrôle émergentes qui ont empêché de réellement surmonter l’hégémonie auparavant instaurée par l’imprimé. Dans un deuxième texte, nous avons abordé la question des médias hypertextuels eux-mêmes et leurs implications sociales. Dans ce troisième texte, nous chercherons à émettre des pistes de réflexion pour poursuivre la lutte grâce, entre autres, au média même qui permet la diffusion de textes, c’est-à-dire la revue L’Esprit libre.
Par ces pistes de réflexion, nous souhaitons, entre autres, affirmer notre autonomie et ouvrir la « boîte noire de la technologieii », c’est-à-dire refuser d’utiliser la numisphère sans en comprendre les moindres rouages, refuser toute tentative obscurantiste de mystifier, de « privatiser » telle ou telle autre machine aliénante (« privatiser » au sens d’aliéner au moyen de la propriété privée tout en faisant écho à la vie privée comme phénomène bourgeois). La machine aliénante, c’est aussi la « machine à croissance » qu’est la villeiii, justifiant une constante accélération (des données, entre autres choses), à laquelle sont liés notre conception même du temps (plus d’argent, plus de données : une augmentation de la consommation entraîne une diminution du temps libre) et l’appropriation de nouveaux territoires, le Landnahme, que ceux-ci soient cybernétiques ou « physiques »iv. On a même de moins en moins de temps pour la démocratie et les algorithmes, qui devaient nous simplifier la vie, servent plutôt l’État policierv.
Nos conclusions en ce qui concerne les totalitarismes de l’hypertexte ne signifient pas qu’il faille attendre la révolution passivement, avec trop peu d’espoir, se vautrant dans un profond cynisme. Peter Lamborn Wilson a fait état de la possibilité d’engendrer des zones autonomes temporaires qui défient le temps et l’espace pour vivre, ne serait-ce qu’un instant, comme si la révolution avait eu lieu, comme si les médias étaient déjà réellement indépendants. Voici ce qu’il en dit :
« Si l’histoire est temporalité, comme elle prétend l’être, alors le soulèvement est un moment qui jaillit hors du temps, qui viole la « loi » de l’histoire. Si l’État est histoire, comme il le prétend, alors l’insurrection est le moment interdit, un déni impardonnable de la dialectique, qui oscille le long d’un axe jusqu’à l’extérieur du trou fumant, une manœuvre de chaman exécuté d’un angle impossible de l’Univers. […] [La zone autonome temporaire] est comme un soulèvement qui n’est pas directement dirigé vers l’État, une opération de guérilla qui libère un espace (un territoire, un espace dans le temps, dans l’imagination) et se désintègre par la suite pour se matérialiser de nouveau en autre lieu et moment, avant que l’État ne puisse l’assujettir et l’écraservi. »
Landow se demandait, vers la fin de son livre Hypertext 3.0, si Internet est une anarchie ou une dictature. Sa réponse est sans équivoque : l’hypermédia reste un espace de liberté, même s’il est encore difficile de séparer le bon grain de l’ivraie et de contourner la surveillance. Cela dit, toutes les technologies, de l’écriture à l’ordinateur, en passant par le cinéma et la photographie, semblent avoir en commun les mêmes dérives. Par conséquent, il nous semble que le vrai problème de la technologie relève de la propriété de ses moyens de production, et un changement radical à cet égard, qui assurerait une propriété réellement collective, pourrait faire en sorte que les technologies restent véritablement au service de l’ensemble de la société. C’est un peu l’idée des logiciels libres, des creative commons, de Wikipédia et même, au Québec, des Classiques des sciences sociales, qui ont le potentiel de « bouleverser autant la forme de l’infrastructure (rapports de propriété, forces productives) que la superstructure (institutions politiques et juridiques, culture, idées et valeurs)vii ». Nous osons croire que ce changement peut se faire grâce à des organes médiatiques comme L’Esprit libre et le mode de fonctionnement coopératif, une tentative de socialiser les moyens de production de l’information. L’effet pervers des moyens de télécommunications et de représentations avait aussi été dénoncé par Slavoj Žižek, qui qualifie ceux-ci d’éléments importants dans l’éducation à la « suprématie du statu quo »viii. Cela est dû, bien sûr, à la propriété de ces moyens et non à leur nature elle-même. Pour répondre à cet état des choses, il nous faut donner de l’importance au local, comme l’affirme Jonathan Durand Folco, et ce, également dans la numisphère.
La journaliste Dani Cavallaro compare, dans son ouvrage sur la culture cyberpunk, la ville au corps érotique, la décrivant comme la « cybercitéix », qui combine la matérialité et l’immatérialité :
« Les technologies numériques ont tendance à idéaliser la ville dans son immatérialité, tels une carte abstraite ou un réseau de données traitées par des ordinateurs. Néanmoins et paradoxalement, les villes contemporaines sont, à l’évidence, tout à fait matérielles : surchargées de structures architecturales en constante expansion et en évolution perpétuelle, dans lesquelles pullulent des corps et des véhicules chargés de marchandises de toutes sortesx. »
Les idées de Cavallaro sont à mettre en relation avec ce que Jonathan Durand Folco propose dans son Traité de municipalisme, soit la repolitisation des municipalités comme moyen de reprendre possession des espaces politiques au sein du système hégémonique. Il résume le sujet de son essai en ces mots : « La réhabilitation de la municipalité comme espace politique et vecteur de transformation socialexi ». Cela dit, Cavallaro décrit trois manières d’organiser l’espace : la citadelle, le rhizome et le jeu de ficellesxii. La citadelle est imprenable et isolée. Le rhizome est une cartographie sans fin qui se voit comme une réaction à la précarité et aux limites de la citadelle, dont les murs ne sont ni étanches ni totalement poreux. Les ramifications du rhizome sont innombrables, fluides et sans extrémités. Le jeu de ficelles pousse l’idée encore plus loin, sa structure se définissant par sa constante transformationxiii.
En ce qui concerne le potentiel décolonisateur de l’hypermédia que mettait de l’avant Landow, il faut se demander comment l’hypertexte, une technologie occidentale tout comme la langue française, les voitures importées d’Europe ou du Japon, ou encore les téléphones cellulaires chinois, pourrait se voir réapproprié. Vraisemblablement, l’hypertexte n’apportera de libération que lorsque tous les peuples disposeront des savoirs et moyens de fabriquer leurs propres ordinateurs, infrastructures de réseaux et sauront créer leurs propres langages de programmation. Cependant, il ne semble pas que les pays colonisateurs soient prêts à renoncer à leur mainmise sur le continent. Ainsi, peut-être nous incomberait-il à nous, collaborateurs et collaboratrices des médias indépendants, de travailler à nos propres langages de programmation, à nos propres serveurs et, éventuellement, à nos propres technologies, ou du moins à la réappropriation de ces moyens, et favoriser la même chose dans les pays du sud. Peut-être pourrions-nous même produire notre propre cryptomonnaie (non basée sur la spéculation) qui joue sur les interstices du système et qui puisse financer le journalisme à l’échelle internationale. Ce sont là des idées proches du courant cryptoanarchiste, auquel appartient, entre autres, Amir Taaki, qui a aidé à implanter la cryptomonnaie au Rojavaxiv. Cependant, par-delà le problème de surmonter ce capital artificiel et le paradoxe qui fait en sorte que l’accélération des données et de ses moyens de production nous donne toujours moins de temps, la dématérialisation des contenus, de l’économie et de la numisphère dépendent encore aussi du produit d’une exploitation de minerais qui est nocive, voire source de violence et de misèrexv. C’est pourquoi Jonathan Durand Folco avance l’idée d’un « municipalisme de combat internationalxvi », une « hydre aux mille têtesxvii » qui pourraient éventuellement permettre d’abolir l’exploitation outre-mer.
Quoi qu’il en soit, pour le moment, l’Internet se trouve à être encore et surtout à l’intérieur des murs de la citadelle telle que décrite par Cavallaro, celle de l’Occident. Par conséquent, il nous apparaît nécessaire que les médias indépendants prennent l’aspect d’un rhizome, ou encore mieux, d’un jeu de ficelles, adoptant les caractéristiques de réseaux nomades qui ne pourraient laisser émerger de nouvelles citadelles. Nous entendons par là une utopie pirate, pour faire référence à Peter Lamborn Wilsonxviii. Ainsi, chaque média indépendant pourrait être conçu comme un bateau pirate, externe à tout État, système économique ou monétaire.
Nico Carpentier, de son côté, souligne, comme Durand Folco, l’importance des villes comme interface communautaire de résistance à la mondialisation. Ce qu’il propose se rapproche, selon nous, d’un « cybermunicipalisme radical ». Pour lui, les réseaux de la numisphère permettent de reconfigurer les communautés en surmontant les contraintes de temps et d’espace, donnant lieu à des déchirures spatiotemporelles dans la cartographie et l’histoire. Ces réseaux peuvent mener à une urbanité plus mobile, plus fluide, interagissant avec de nombreuses identités elles aussi plus fluides qui alimenteraient les subjectivités de ses collaborateurs et collaboratricesxix. Nico Carpentier cite Arjun Appadurai pour expliquer comment la mondialisation s’est déroulée au sein d’un ensemble de sphères sociales en constante fragmentation et caractérisées par la déterritorialisation s’intégrant dans un translocalisme : « Ethnoscapes, mediascapes, ideoscapes, technoscapes and finanscapes, which incorporate flows of people, cultural meanings, ideologies, technologies and capitalsxx ». Le translocalisme serait l’étirement du local au-delà de ses frontières en interagissant à travers un environnement réseau avec des personnes, des organisations, des machines et des agents nomades et internationaux :
« Il s’agit du moment pendant lequel le local se fond dans une partie du contexte qui lui est extérieur, sans toutefois devenir ce contexte. Il s’agit du moment pendant lequel le local assimile le contexte et le transgresse à la fois. Il s’agit du moment pendant lequel le local atteint un inconnu familier et l’amalgame avec le connuxxi. »
Carpentier propose une démocratisation par l’hypermédia communautaire, qui deviendrait un catalyseur pour les mouvements sociaux et les organisations qui sont ancré⸱e⸱s dans une société civile fluide au sein d’un réseau beaucoup plus vaste. Aussi, la tension qu’ils maintiennent avec l’État et le marché, en parallèle avec les médias hégémoniques, engendre des médias antihégémoniques à l’identité fluide et polymorphexxii. Cette notion nous semble très importante pour prendre conscience de la tâche et du potentiel d’un média comme L’Esprit libre, tout particulièrement de sa structure coopérative. Carpentier rejette aussi la binarité ou la dichotomie locale et globale. Cela dit, le translocal est aussi rhizomatique :
« La pensée rhizomatique se concentre sur l’hétérogène, les interconnections qui se modifient constamment et qui s’articulent en tension avec la structure ramifiée de l’État et du marché. De ce point de vue, il n’y a aucune raison pour que le rhizome s’arrête aux abords d’une localitéxxiii. »
Carpentier aborde aussi la création d’un réseau sans fil communautaire. Pour l’organisation belge Réseau citoyen, le Wi-Fi communautaire n’est pas seulement rhizomatique en raison de son aspect technique, mais il l’est aussi en raison de son mode d’organisation politique non hiérarchique. De la même manière dont chaque collaborateur et collaboratrice paie une part sociale pour constituer l’appareil de la revue L’Esprit libre, chaque utilisateur et utilisatrice contribue à une ramification du rhizome. Ces organisations doivent toutefois lutter contre les fournisseurs commerciaux et emploient de nombreuses tactiques transgressives pour maintenir l’accès au réseau à tou·te·s les habitant·e·s d’une communautéxxiv. Nous faisons le parallèle avec ce que dit Jonathan Durand Folco, qui abordait la création d’un « front municipal », une coalition de « villes rebelles » pour mener une lutte à l’échelle mondialexxv. Durand Folco esquisse aussi « les contours d’un nouveau véhicule politique post-partisan, soit une plateforme citoyenne, créative et collaborative visant à favoriser l’auto-organisation populaire et l’action municipalexxvi ». Il rapproche cela du concept de « patriotisme communalxxvii ». Enfin, même s’il est difficile de déterminer jusqu’à quel point ces réseaux communautaires pourraient être installés dans les pays dits « du sud », l’idée constitue un point de départ pour que les populations concernées installent leurs propres réseaux avant que l’hégémonie ne le fasse à leur place, si cela est encore possible. Cela dit, serait-il possible de le faire à Montréal ou à Gatineau comme contre-pouvoir à la machine étatique d’Ottawa, un contre-pouvoir municipaliste, une « ville rebelle », un foyer de « démondialisationxxviii »? Est-il possible d’y créer une zone autonome pour « résister à la colonisation du monde vécuxxix »?
« Le plagiat est nécessaire. Le progrès l’implique. […] Le détournement est le contraire de la citation, de l’autorité théorique toujours falsifiée du seul fait qu’elle est devenue citation […] Le détournement est le langage fluide de l’anti-idéologiexxx. »
Un autre auteur, Jonas Andersson, s’intéresse à la production, à la diffusion et à la consommation du savoir ou, en ce qui nous concerne, de l’information. Il aborde le partage de fichiers en ligne comme mode de consommation culturelle et comme tactique de « braconnage » avec les moyens qui sont à la portée de tous, décentralisés et, selon l’auteur, presque invisibles. Il fait une comparaison avec la guérilla, qui doit résister sur le terrain qu’elle connaît le mieux pour contrer l’hégémoniexxxi. Andersson réitère à plusieurs reprises dans son article cette phrase qui était le mot d’ordre chez la première génération de pirates et d’hacktivistes : « Les données veulent être libresxxxii. » Enfin, selon Andersson, la « piratologie » est d’autant plus pertinente de nos jours. Elle serait une forme de résistance au néolibéralisme et aux industries culturelles. Qui plus est, elle ne serait pas seulement une forme de résistance, mais bel et bien une volonté d’autosuffisance. Cependant, il est à noter que les néopirates ne produisent pas toutes et tous leur propre contenu. Dans la plupart des cas, elles et ils ne font que s’approprier les produits des médias hégémoniques pour les redistribuer gratuitement. Néanmoins, selon Andersson, les infrastructures d’échanges autonomiseraient ses utilisateurs et ses utilisatrices contre l’hégémonie culturelle, peu importe la nature des produits échangés. Andersson affirme d’ailleurs :
« Il s’agit d’un éthos qui n’implique pas seulement une quête sans répit de nouvelles expériences culturelles, mais aussi la mise en œuvre de structures et de discours alternatifs ce faisant. […] Le piratage est une activité déchirée par la nécessité de vivre avec certaines conditions technoculturelles tout en y résistant, ces conditions puisant le plus souvent leurs origines à l’intersection des intérêts militaro-industriels et corporatifs […]xxxiii. »
Cependant, il est à noter que toute tentative de mobiliser l’hacktivisme en vue de consommer et de faire circuler des produits culturels de l’hégémonie (sans réappropriation) implique possiblement la perte de ce moyen de résistance et la perpétuation de l’hégémonie. Le concept d’hacktivisme désigne cette dynamique décentralisée et autonome des utilisateurs et utilisatrices qui cherchent à établir des infrastructures fluides de diffusion des contenusxxxiv. Andersson rejette la dichotomie production-consommation et se demande si les utilisateurs et utilisatrices des plateformes de diffusion des produits culturels sont des producteurs et productrices, ou des consommateurs et consommatrices. Cela dépend en fait des points de vuexxxv. Cependant, le simple partage en ligne de productions culturelles, le plus souvent celles de l’hégémonie, ne suffit pas.
Comme le concède aussi Andersson dans son article, le partage de fichiers n’est qu’un mode de consommation culturelle comme un autre, ni une calamité, ni une bénédiction. Si l’hacktivisme ne tient qu’à cela, il ne s’agit que d’un autre symptôme de la croissance effrénée du capitalisme, comme l’est la pornographie ou le narcotrafic. Nous ajouterions même qu’il pourrait participer à l’expansion de l’hégémonie là où les lois du marché ne sont pas encore souveraines. En effet, dans les pays où la population est trop pauvre pour se payer des films ou de la musique étrangère par les canaux officiels ou dans ceux qui font l’objet d’un embargo empêchant les entreprises étrangères de pénétrer le marché local (Iran, Soudan, Cuba, etc.), les CD et DVD piratés deviennent la norme de propagation de la culture nord-américaine. Enfin, Andersson conclut qu’un mouvement général en faveur de ce type de consommation plus libre peut, en s’y adonnant massivement, avoir un certain poids politiquexxxvi. Nous pensons qu’appliquer ces principes à la consommation de l’information pouvait avoir un sens. Cependant, Guy Debord nous met en garde : « Le consommateur réel devient consommateur d’illusions. La marchandise est cette illusion effectivement réelle, et le spectacle, sa manifestation généralexxxvii. » Il nous semble donc que l’hacktivisme n’a que trop peu d’importance, dans son état actuel, pour la libre circulation de l’information.
De son côté, Petar Jandric, chercheur croate de l’Université des sciences appliquées de Zagreb, aborde Wikipédia d’un point de vue anarchiste. Il affirme que « la nature contradictoire de l’identité, pour Bookchin, est une caractéristique inhérente de l’être humain; elle s’épanouit plutôt qu’elle ne discipline et constitue donc un des éléments les plus importants de l’éducation anarchistexxxviii ». Jandric explique que l’éducation est centrale à l’anarchisme et à une société libre et égalitaire. Tout autre mode d’organisation est condamné à donner lieu à la reproduction sociale et culturelle. Le chercheur met de l’avant cinq principes : un changement radical et son immédiateté, la libre association, l’action autonome et l’amalgame du militantisme et de l’éducation. Il souligne l’importance de la praxis par l’éducation, qui ne devrait pas être sous le contrôle total de l’État. Est-ce qu’une plateforme de diffusion d’information, telle L’Esprit libre, peut satisfaire à ces principes? Nous répondrions par l’affirmative, parce qu’elle propose d’aller au-delà du spectacle dont parle Debord. Il serait aussi possible de croiser ces principes avec ceux qui sont proposés par Durand Folco dans son livre : la participation citoyenne directe, la démocratisation, la décentralisation, la solidarité intermunicipale, la justice sociale et la transition écologiquexxxix. Jandric souligne à quel point les théories de Peter Lamborn Wilson expliquent bien ce qu’il entend par mode d’éducation anarchiste.
« Lorsqu’appliqué à la praxis de l’éducation, le concept de zone autonome temporaire est un espace pour une éducation des contraintes et de l’influence de nature sociale ou financière. La participation se fait sur une base volontaire; le curriculum est conçu par et pour la collectivité concernée; et la pédagogie a pour fondement le plus grand respect de la personnexl. »
L’élément le plus important à retenir est que les anarchistes voient l’éducation comme une pratique anarchique et, qui plus est, le militantisme et l’éducation comme une seule et même chosexli. Jandric propose, nous le disions antérieurement, une analyse anarchiste de l’encyclopédie en ligne Wikipédia, qui selon ses créateurs, aurait les caractéristiques suivantes : Wikipédia est ouvert, une page mal écrite pouvant être réorganisée et corrigée. Il est augmentable (des pages peuvent en citer d’autres, même celles qui n’existent pas encore) et organique, car sa structure et son contenu peuvent être modifiés et évoluer. Il est aussi populaire, accessible à tous et à toutes, et universel, ses utilisateurs et utilisatrices pouvant à la fois rédiger, réviser et organiser le contenu des articles. Également redistribuable, l’encyclopédie en ligne comprend un mode d’impression afin d’en faciliter la transmission. Qui plus est, elle est uniformisée et précise, et les noms de ses articles sont clairs et simples. Elle est tolérante, puisque différentes prises de position sont proposées et laissées à l’interprétation. Enfin, elle est observable, parce que les actions des rédacteurs et rédactrices ainsi que des réviseurs et réviseures sont visibles par les tiers et convergent; la répétition ou les longues citations peuvent être évitées en renvoyant à une autre pagexlii. Cela ne représenterait pas, d’une certaine manière, un idéal pour les médias indépendants?
Enfin, Jandric reconnaît aussi que, même si Wikipédia est en principe socialement, géographiquement et politiquement décentralisé, certaines barrières existent. Il les classe en quatre catégories : les barrières mentales, caractérisées par un manque d’intérêt ou par la technophobie; les barrières matérielles, soit le fait de ne pas avoir accès à un ordinateur ou de ne pas en avoir; les barrières liées aux habiletés, soit le manque d’éducation ou de soutien en la matière; les barrières liées à l’usage, qui constituent essentiellement un manque de circonstances opportunes. Toutes ces barrières mèneraient de concert à la reproduction sociale que les Wikipédiens et les Wikipédiennes voulaient éviterxliii. Malgré cela, Jandric soutient que, à la lumière de la pensée anarchiste, il est possible d’affirmer qu’un engagement au sein de la plateforme Wikipédia tire ses origines de croyances qui sont celles appartenant à l’anarchisme, et que le travail réalisé est très proche du travail dans l’acception anarchiste du terme. Wikipédia donnerait également lieu à une société anarchiste virtuelle. Cependant, abolir les rapports de pouvoir dans la réalité quotidienne est plus difficile. Enfin, Jandric termine sur une citation intéressante :
« Il nous semble que, chaque fois qu’un événement historique tranche une tête de l’hydre, deux autres poussent à sa place de la manière la plus improbable. Contrairement à la croyance populaire […] qui veut que l’anarchie ne soit réalisable que dans une société primitive et non technologiste, l’exemple de Wikipédia nous montre clairement que des idées anarchistes sur l’éducation s’épanouissent là où l’on s’y attend le moins : dans le domaine de l’information en direct et des technologies de communicationxliv. »
Dans cette série d’articles, à la lumière des écrits de Benjamin, de Landow, de Debord et de Durand Folco, nous avons essayé de découvrir dans quelle mesure l’hypertexte et les médias indépendants qui en dépendent pouvaient être libérés des contraintes imposées par le système capitaliste. Nous avons d’abord décrit les espoirs déçus de l’hypertexte, d’abord entrevu comme une libération et une démocratisation du savoir, érodant les monolithes et contribuant à une décolonisation des cultures. Malheureusement, ces moyens qui se devaient libérateurs ont permis l’émergence de nouvelles formes de totalitarisme auparavant insoupçonnées. Cependant, nous n’avons pas manqué de faire remarquer, en abordant Deleuze et Guattari, ainsi que Slavoj Žižek, que toute soumission dépend d’un désir allant en ce sens. Enfin, nous avons proposé trois pistes de solution pour une libération hypertextuelle, en mobilisant les propos de différents auteurs sur la culture cyberpunk et les mythes technologiques, le translocalisme et les modes non hiérarchiques de diffusion du savoir. Nous ne cherchions pas à proposer une solution unique, mais bien un ensemble de réflexions qui pourraient nous permettre d’agir dans en ce sens et de procéder à une libération plus totale des médias antihégémoniques. Peter Lamborn Wilson avançait aussi :
« L’anarchie ontologique éprouve une certaine affection pour le luddisme comme tactique. Si une technologie donnée, peu importe si son potentiel suscite l’admiration, est utilisée pour nous opprimer ici et maintenant, nous devons nous saisir de cette arme de sabotage ou des moyens de production eux-mêmes (ou, peut-être, les moyens de communication, dont l’importance est d’autant plus grande) xlv. »
À nous donc de nous saisir de nos médias.
CRÉDIT PHOTO: Rudy et Peter Skitterians, Pixabay
i Edward S. Herman et Noam Chomsky, Manufacturing Consent: The Political Economy of the Mass Media, New York, Pantheon Books, 1988.
ii Jonas Andersson, “For the Good of the Net: The Pirate Bay as a Strategic Sovereign”, Culture Machine, 10, 2009, p. 74.
iii Jonathan Durand Folco, À nous la ville! Traité de municipalisme, Écosociété, Montréal, 2017, p. 25.
iv Op. cit., note 3, p. 27-32.
v Op. cit., note 3, p. 41.
vi Hakim Bey, T.A.Z.: The Temporary Autonomous Zone, Ontological Anarchy, Poetic Terrorism, Brooklyn, Autonomedia, 1985, p. 98, notre traduction.
vii Op. cit., note 3, p. 49.
viii George I. García et Carlos Guillermo Aguilar Sánchez, “Psychoanalysis and Politics: The Theory of Ideology in Slavoj Žižek”, International Journal of Žižek Studies, 2, 3, 2008, pp. 125-141.
ix Dani Cavallaro, Cyberpunk and Cyberculture: Science Fiction and the Work of William Gibson, London and New Brunswick, The Athlone Press, 2000, p. 133.
x Loc. cit.
xi Op. cit., note 3, p. 12.
xii Dani Cavallaro, Cyberpunk and Cyberculture: Science Fiction and the Work of William Gibson, London and New Brunswick, The Athlone Press, 2000, p. 138.
xiii Op. cit., note 12, pp. 138-139.
xiv Joon Ian Wong, “Anarchist hacker Amir Taaki says bitcoin’s boom means it’s on the verge of a collapse”, Quartz, 8 février 2018. Disponible à : https://qz.com/1192640/anarchist-cryptocurrency-hacker-amir-taaki-says-b… [consulté le 30 septembre 2018].
xv Op. cit., note 3, p. 37.
xvi Op. cit., note 3, p. 170.
xvii Op. cit., note 3, p. 190.
xviii Peter Lamborn Wilson, Pirate Utopias: Moorish Corsairs & European Renegadoes. Brooklyn, Autonomedia, 2003.
xix Nico Carpentier, “Translocalism, Community Media and the City”, Center for Media Sociology, Department of Communication Sciences, Brussels Free University, sans date, p. 3. Disponible à : https://www.researchgate.net/profile/Nico_Carpentier/publication/2426596… [consulté le 30 septembre 2018].
xx Ibid., p. 5.
xxi Loc. cit., notre traduction.
xxii Ibid., p. 9.
xxiii Ibid., p. 11, notre traduction.
xxiv Ibid., p. 21.
xxv Op. cit., note 3, p. 14.
xxvi Loc. cit.
xxvii Op. cit., note 3, p. 88.
xxviii Op. cit., note 3, p. 55.
xxix Op. cit., note 3, p. 20.
xxx Guy Debord, La société du spectacle, Paris, Les Éditions Buchet Chastel, 1967, pp. 122-123.
xxxi Op. cit., note 2, pp. 67-68.
xxxii Op. cit., note 2, p. 73.
par Alexandre Dubé-Belzile | Mai 23, 2019 | Idées, Societé
Les médias hypertextuels et leurs implications sociales
Notre article s’inscrit en quelque sorte dans la foulée des questionnements lancés par Noam Chomsky dans les années 1980 avec Manufacturing Consenti, ouvrage méritant une mise à jour importante. Dans ce deuxième texte, nous aborderons les implications de la « révolution numérique » et de l’hypertexte dans les médias. Dans quelle mesure pourrions-nous libérer l’hypertexte, et les médias qui en dépendent, des contraintes imposées par le système capitaliste international? D’ailleurs, la question des médias hypertextuels eux-mêmes sera traitée plus précisément dans cet article. Dans un troisième texte, nous chercherons également à émettre des pistes de réflexion pour poursuivre la lutte grâce, entre autres, au média même qui permet la diffusion de ces textes, c’est-à-dire la revue L’Esprit libre.
« Si Carl von Clausewitz avait écrit De la guerre au XXIe siècle, il en serait venu à la constatation suivante : les médias ne sont que la continuation de la guerre par d’autres moyensii. »
« Le spectacle est le capital à un tel degré d’accumulation qu’il devient imageiii. »
L’historien Jacques Ellul a retracé les origines de la propagande, terme qu’on peut utiliser pour décrire le « spectacle », jusqu’au tyran Pisistrate (600-527). Ce dernier en aurait raffiné l’art pour atteindre des sommets inégalés, non seulement en faisant preuve d’une éloquence exceptionnelle et en donnant des fêtes orgiaques, mais surtout en dénonçant constamment l’ennemi public, soient des Eupatrides dans son cas. Selon ses dires, ces derniers voulaient attenter à sa vieiv. Nul besoin de gymnastique intellectuelle pour voir qui serait, dans les médias, les Eupatrides du présent millénaire. Le linguiste américain Noam Chomsky et plus tard le sociologue syrien Yasser Munif se sont intéressés au « modèle de propagande » moderne qui étouffe toutes les formes d’expression en marge des grands empires médiatiques. Ceux-ci, par le maintien d’une culture de divertissement, font la promotion des intérêts et de la vision du monde d’une élite internationale. Selon Chomsky et Munif, le levier des médias de masse a servi à dépolitiser les populations et à exacerber ce que nous connaissons comme la société de consommation et de « spectacle ». D’après Chomsky, cette orientation vers le divertissement et la surconsommation est « une érosion de la sphère publique sous un système de médias commerciaux ». Ce système cherche à vendre des biens, des services, mais aussi une idéologie : ce serait l’« équivalent contemporain du cirque romain ». Il mène les populations au large de tout processus décisionnel politique et permet à la classe dirigeante de se maintenir au pouvoirv. Nous assistons donc à un foisonnement de canaux d’expression d’une part et, d’autre part, d’une puissance qui, au milieu de ce foisonnement, se fait de plus en plus impitoyable dans l’affirmation de sa suprématie, comme si cette croissance exponentielle de l’abondance d’information n’était qu’une source de confusion, de la poudre aux yeux.
Georges Landow, malgré son enthousiasme débordant, ne manque pas de faire état du strict contrôle de l’Internet exercé de nos jours par certains États, à l’aide de systèmes de filtrage. Dans certains cas, lorsque l’accès est limité à quelques établissements publics, certains vont même jusqu’à utiliser des patrouilles et des caméras de surveillance, comme c’est le cas en Chine.vi D’ailleurs, Walter Benjamin soulignait déjà, dans l’entre-deux-guerres, l’émergence de phénomènes nouveaux et inséparables de l’art des massesvii, parmi lesquels un nouveau culte de la personnalité, un vedettariat devenant le visage d’un ensemble de dynamiques mercantiles en pleine expansion. Ce culte stimulera chez un auditoire passif une identification aux vedettes, justifiant un pernicieux individualisme et donnant forme à une aliénation qui entrave toute forme de conscientisation à la lutte des classes en cours. Guy Debord disait dans un même ordre d’idée :
« De l’automobile à la télévision, tous les biens sélectionnés par le système spectaculaire sont aussi ses armes pour le renforcement constant des conditions d’isolement des « foules solitaires ». […] Là, c’est le pouvoir gouvernemental qui se personnalise en pseudo-vedette; ici, c’est la vedette de la consommation qui se fait plébisciter en tant que pseudo-pouvoir sur le vécuviii. »
Cette tyrannie organise, par ses manipulations de l’information, les systèmes de représentation et de diffusion d’idées, et ce, pour protéger la propriété privée qui aurait dû perdre son importance grâce à la reproduction mécanisée et la diffusion massive d’écrits. En principe, l’hypertexte aurait dû être le dernier clou dans le cercueil de la propriété intellectuelle. Cependant, l’emprise de cette dernière sur la culture et l’information a plutôt été consolidée, l’hypertexte de résistance ayant été subordonné aux fins de l’expansion du capital ix. Enfin, l’identification au vedettariat est peut-être encore plus forte sur les médias sociaux émergeant de la deuxième étape de développement de la numisphère, celle du « Web 2.0 ». Cette identification contribue à l’érection d’une muraille encore plus haute et, en apparence, infranchissable, qui assure l’étanchéité entre une société d’individualismes et l’émergence d’un mouvement révolutionnaire.
Enfin, ce populisme numisphérique pose certains risques non négligeables. Walter Benjamin parlait des dangers de l’esthétisation du politique par la reproduction mécanique et le cinémax. La passivité devant le cinéma serait d’ailleurs semblable à celle de l’internaute, ce que souligne aussi Dominique Cardonxi.Les traces laissées sur le Web par les utilisateurs et utilisatrices, les « j’aime » sur Facebook, les gazouillis sur Twitter, sont, comme des votes, une participation symbolique, qui n’a que peu de répercussions sur celles et ceux détenant le pouvoir. Enfin, le philosophe anarchiste Peter Lamborn Wilsonxii parlait de l’Internet comme d’un phénomène religieux. Cela rejoint le propos de Doueihi : « Le numérique ne cesse de convertir tout ce qui est hérité, tout ce qui est prénumérique, car il est, de par sa nature, voué à ce travail continu de conversionxiii », une conversion qui ne se ferait pas, selon nous, en notre faveur. Comme le disait encore une fois Guy Debord, « [l]e spectacle n’est pas un ensemble d’images, mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images. […] Le spectacle ne peut être compris comme l’abus d’un monde de la vision, le produit des techniques de diffusion massive des imagesxiv ».
Le prosélytisme de la numisphère n’est plus celui de l’expansion de nos consciences, telle que se voulait la révolution psychédéliquexv, mais bien l’appropriation de nos facultés d’analyse. Les propriétés privée et intellectuelle contribuent à l’aliénation. L’écriture et l’imprimé permettaient de figer la parole, moyennant des efforts et un coût considérable alors que la numisphère permet de générer une infinité de copies en quelques secondes, à des coûts bien moindres. Cela a contribué à une multiplication des profits pour les éditeurs et l’expansion du capital vers l’immatérialité plutôt qu’une plus vaste diffusion. Cela annoncerait que, sous peu, des « capacités » données à la naissance, ou du moins réputées comme telles, seront des commodités vendues à celles et ceux en ayant les moyens plutôt que comme des « béquilles » servant à favoriser l’égalité. Cela rejoint le concept du biopouvoir mis de l’avant par Michel Foucault, c’est-à-dire un pouvoir exercé sur le vivant mêmexvi. C’est ce qui se produit aussi avec l’information qui se retrouve aux mains des médias hégémoniques. Au sujet de cette marchandisation, nous ne pouvons que revenir à Debord :
« C’est dans cette lutte aveugle que chaque marchandise, en suivant sa passion, réalise en fait dans l’inconscience quelque chose de plus élevé : le devenir-monde de la marchandise, qui est aussi bien le devenir-marchandise du mondexvii. »
Qui plus est, l’information et ses discours sont intimement liés aux éventuelles justifications idéologiques de ces marchandisations ou commodifications. Nous préférons d’ailleurs le terme de commodité, que nous distinguons de la marchandise. Pour ce qui est du sens précis de commodité, Slavoj Žižek la définit de la manière suivante :
« Une commodité n’est jamais qu’un simple objet que nous achetons et que nous consommons. Une commodité est un objet chargé d’attraits théologiques et même métaphysiques. […] Dans nos sociétés post-modernes […] le plaisir devient une sorte de devoir pervers. […] Le désir n’est jamais simplement le désir pour une chose en particulier. Il s’agit aussi d’un désir pour le désir lui-même, un désir de continuer de désirerxviii. »
Cela dit, la « conversion », dont faisait état l’historien des religions et titulaire de la chaire d’humanisme numérique à l’université de Paris-Sorbonne Milad Doueihi, a donné naissance à de nouvelles idéologies qu’on pourrait rapprocher de différentes formes de totalitarisme et qui, plutôt que de démocratiser le savoir, engendrent des rapports de pouvoir d’autant plus sinistres. Jean-Claude Ravet, éditeur de la revue Relations, décrit le transhumanisme comme une forme de totalitarisme émergente, une idéologie proche du libertarianisme, du post-hippie et du capitaliste et qui « prône l’augmentation de nos capacités physiques et mentales et l’amélioration de l’espèce humaine grâce à son hybridation étroite avec la technique par le biais de différentes technologies de pointexix ». Ce sont là les Google, les Airbnb et les Facebook de ce monde. Alors que la numisphère promettait d’abord un retour en arrière quasi néoluddite par rapport aux superstructures répressives et aux institutions de l’imprimé, de nouvelles superstructures ont émergé au sein de celle-ci. Elles sont transnationales, plus fluides et pourraient éventuellement mener à d’autres formes de tyrannies qui, nous l’imaginons, pourraient ressembler aux réalités post-apocalyptiques représentées dans la culture populaire et dans les écrits cyberpunks. Les multinationales profitent déjà du soutien des États qui, par des lois, protègent la propriété privée et intellectuelle contre le reste du monde. D’ailleurs, il est en principe illégal de mémoriser un livre, puisque cela consiste en une reproduction. Ainsi, notre propre capacité à apprendre et à absorber des renseignements, notre matière grise, et toutes les prothèses connexes, entreraient en conflit avec la « souveraineté » du capital. L’évolution des technologies sera toujours au service des autocrates, malgré leur constante évolution et la multiplication de leurs pôles de gravitation et de leurs ramifications; à moins que les moyens de production de ces dernières soient socialisés, ce qui semble nécessiter un grand bond vers l’arrière, une décroissance, comme le souligne Murray Bookchin, qui aura influencé Abdullah Ocalan et la révolution au Rojava. D’ailleurs, Bookchin affirmait que l’État assurait sa survie en maintenant la rareté de manière artificielle. C’est ce qu’il définit comme la « sainteté de la propriétéxx ». Nous estimons que ces agissements de l’État qui se font par l’entremise de ses institutions et de ses mécanismes de répression touchent également la numisphère au sein de laquelle, paradoxalement, la rareté devrait être pratiquement impossible.
Un retour en arrière par rapport à ces structures est également défendu par le professeur Salah Basalamah, de l’Université d’Ottawa, en ce qui concerne le droit d’auteur dans son ouvrage Le droit de traduire d’une manière tout à fait pertinente pour l’hypertexte. Il y affirme que
« [e]n somme, la révolution traductive, s’il en est, c’est l’effort constant de susciter la libre « discussion » des langues et des cultures qui nous traversent en vue de développer notre capacité de nous déprendre de tout ce qui nous retient de nous concilier avec l’universel. […] L’espace révolutionnaire ainsi théâtralisé ouvre à la généralisation du processus traductif : […] tout est traduction ou rien n’est signexxi. »
C’est non seulement que tout texte se trouve à traduire d’autres textes préexistants, c’est d’ailleurs là la définition même de l’hypertexte, mais que tout texte, dont les articles d’information, traduit des réalités et que même leurs reproductions sont aussi des traductions, ne serait-ce qu’en langage binaire de programmation (des octets encodés de 1 et de 0). Qui plus est, lors d’un bref entretien téléphonique, monsieur Basamalah a confirmé ce que nous pensions, c’est-à-dire que « [l]a traduction est critique par essence ». Tout est traduction et tout est critique. Toute tentative de freiner la multiplication infinie des discours est idéologique et tend au maintien de la « suprématie du statu quo », comme l’affirme Žižekxxii. Ainsi, tous les articles des médias indépendants devraient traduire et critiquer tous les discours existants, en évitant de se fondre dans les dynamiques de la « société du spectacle », cet écran de projection dont se vêt le capital pour se déterritorialiser.
La numisphère a également consolidé la commodification des rapports humains. À cet égard, Doueihi affirme que celle-ci offrait « une sorte de promesse de survie et d’éternité qui prépare la transformation de l’humain par la technique et qui incarne le nouveau tournant cognitif associé à la culture numériquexxiii. » Il en parle comme d’une « nouvelle économie affectivexxiv». Cette notion n’est pas sans rappeler la « notion de dépense » de George Bataillexxv. Ce dernier mettait de l’avant la « dépense improductivexxvi » comme une forme de sacrifice servant à contrer les répercussions d’une société dans laquelle les relations sont régies comme des transactions intéresséesxxvii. Encore une fois, l’utilisation hégémonique de la numisphère tend à une commodification des échanges et des données relatives à la vie privée et à ce que Doueihi qualifie de « nouvelles économies numériquesxxviii. » Žižek parlait aussi de l’autocommodification de soi : les relations sociales et amoureuses étaient soumises aux règles du marché, les données devenant aussi monnaie d’échange pour Facebook et Google, en plus des devises plus conventionnellesxxix. Cette nouvelle monnaie d’échange s’est d’ailleurs concrétisée, peut-être, dans les cryptomonnaies.
En fait, nous pourrions avancer l’idée d’un marché social au sein duquel les données (apparence physique, appartenance sociale, travail, loisirs) deviendraient monnaie d’échange et où les coûts des relations amicales ou amoureuses répondraient aux lois de l’offre et de la demande, et ce, même hors de la numisphère. Il va sans dire que ce phénomène touche aussi l’éducation et l’information, ainsi que leur surproduction aux profits de la classe capitaliste. Cette dernière aliène le reste du monde avec cette même éducation et cette même information et doit toujours trouver de nouveaux débouchés. L’urbanité est d’ailleurs le lieu par excellence pour écouler cette surproduction. Jonathan Durand Folco, professeur en innovation sociale à l’Université Saint-Paul, affirme d’ailleurs que l’urbanisation serait intimement liée à l’expansion du capitalisme, la ville « étant l’espace idéal pour absorber le surproduit et l’excédent de marchandises créé par le capitalxxx». Cela dit, il affirme aussi que « [l]a différence entre urbanité et ruralité tend à s’effacer, tandis que le rapport direct au territoire (l’espace des lieux) semble disparaître progressivement au profit des relations virtuelles au sein de l’ »espace des fluxxxxi » ». Cela rejoint ces propos de Guy Debord :
« L’urbanisme est l’accomplissement moderne de la tâche ininterrompue qui sauvegarde le pouvoir de classe : le maintien de l’atomisation des travailleurs que les conditions urbaines de production avaient dangereusement rassemblés. […] L’effort de tous les pouvoirs établis, depuis les expériences de la Révolution française, pour accroître les moyens de maintenir l’ordre dans la rue, culmine finalement dans la suppression de la ruexxxii. »
Cependant, comme nous le rappellent Deleuze et Guattari (1972), la reproduction sociale (comme la surproduction, la surconsommation et, logiquement, l’hypersexualisation) résulte d’un désir, comme toute forme de contrôle ou d’hégémonie. Nous pourrions parler longuement de la pornographie largement diffusée sur le Net et ses implications sociales et politiques. Dans l’ouvrage Beyond Speech : Pornography and Analytic Feminist Philosophy, Rae Langton, professeure de philosophie à l’Université de Cambridge, aborde la pornographie comme une loi (et donc se rapportant à un État) qui consolide la subordination de la femme dans les représentations sexuelles et par conséquent, dans le « réelxxxiii ». On soutient même plus loin dans cet ouvrage que la pornographie se définirait par cette hiérarchisation, signifiant que le fait de voir des organes génitaux et des rapports sexuels non simulés n’est pas ce qui constitue la pornographie en son essence, mais bien les rapports de pouvoir établis et sans cesse reproduitsxxxiv. La pornographie reflète également des rapports de pouvoir racistes néocoloniaux, notamment dans le traitement qu’elle réserve aux femmes raciséesxxxv.
Quoi qu’il en soit, Deleuze et Guattari posent la question que Reich avait empruntée à Spinoza : « Pourquoi les hommes [et les femmes! Notre propre élément de critique idéologique] combattent-ils [et elles!] pour leur servitude comme s’il s’agissait de leur salutxxxvi? »En autres mots, le désir engendre la reproduction sociale comme la communication produit du sens. C’est le point de départ des postulats Žižekiens sur l’idéologiexxxvii. Deleuze et Guattari poursuivent un peu plus loin : « L’existence massive d’une répression sociale portant sur la production désirante n’affecte en rien notre principe : le désir produit du réel, ou la production désirante n’est pas autre chose que la production socialexxxviii». Et enfin, ils affirment encore un peu plus loin que « l’immortalité conférée à l’ordre social existant entraîne dans le moi tous les investissements de répression, les phénomènes d’identification, de « surmoiisation » et de castration, toutes les résignations-désirsxxxix ». La position révolutionnaire serait, quant à elle, la « critique idéologique » dont parlait Žižekxl qui remet en question cette pérennité attribuée à l’ordre établixli. La révolution nécessite d’abord que l’on comprenne le caractère éphémère et fragile des institutions, comme les médias, et l’importance de notre créativité, dont les médias hégémoniques cherchent à miner l’influence, comme moyen d’agir sur les réalités en les traduisant et en maintenant une tension par rapport aux « évènements », au sens où l’entend Slavoj Žižekxlii. Encore une fois, nous nous permettons de citer Debord :
« La conscience du désir et le désir de la conscience sont identiquement ce projet qui, sous sa forme négative, veut l’abolition des classes, c’est-à-dire la possession directe des travailleurs sur tous les moments de leur activité. Son contraire est la société du spectacle, où la marchandise se contemple elle-même dans un monde qu’elle a crééxliii. »
Durand Folco parle de « socialiser » les vérités, une idée elle-même empruntée au philosophe marxiste Antonio Gramsci, pour engendrer de « nouvelles solidaritésxliv. » Ainsi, la révolution permettant l’épanouissement total des médias anti-hégémoniques nécessite de croire à la possibilité pour les médias hégémoniques de s’éteindre. Aussi, Durand Folco mentionne, dans son Traité de municipalisme, que l’État a remplacé l’Églisexlv, ce qui sous-entend que les médecins, les enseignant·e·s et peut-être même les politicien·ne·s et les généraux et générales ont remplacé les curés et les évêques. À nous d’abattre ces dogmes pour que la société remplace l’État, les médias hégémoniques, les médecins, les enseignant·e·s, les politicien·ne·s, les généraux et les générales. Dans cet ordre qui s’alimente de nos propres désirs, ces derniers, ainsi que les pôles d’identification autour desquels ils gravitent, sont entérinés beaucoup plus fréquemment et sont d’autant plus amplifiés par les médias sociaux, rendant ainsi démesurée la production d’aliénation, dont les moyens restent entre les mains d’une minorité. Peter Lamborn Wilson affirmait à propos d’Internet :
« Les médias comme technologies (de machines) sont de parfaits miroirs-représentations de la totalité qui les produit (ou vice-versa). L’Internet, par exemple, ne reflète pas seulement ses origines militaires, mais également ses affinités avec le Capital. Comme la mondialisation, il fait tomber les frontièresxlvi. »
Les démocraties libérales actuelles (l’ordre établi pour beaucoup) tentent désespérément de conserver les apparences de la légitimité tout en s’adonnant à une privatisation croissante et en entretenant un populisme et une démagogie, ses meilleurs alliés. Derrière cette façade se consolident des tendances libertariennes, défenseuses d’un retour à une hiérarchie dite « naturelle ». Le néolibéralisme effrite l’État de social-démocratie pour laisser entrevoir, à travers les lézardes parcourant ses parois, le noyau de l’État, inchangé depuis les Premiers Empires : répression, armée, police, hiérarchie. Comme nous le disions antérieurement, ce populisme s’appuie grandement sur les possibilités de la numisphère et se trouve ainsi à contrer toute forme de conscientisation, conférant des lunettes aveuglantes à ce qui peut être aperçu par ces « lézardes » causées par le néolibéralisme. Dans un troisième texte, nous chercherons à émettre des pistes de réflexion pour poursuivre la lutte grâce, entre autres, au média même qui permet la diffusion de ces textes, c’est-à-dire la revue L’Esprit libre.
CRÉDIT PHOTO: Mohamed Hassa, Pxhere
i Edward S. Herman et Noam Chomsky, Manufacturing Consent: The Political Economy of the Mass Media, New York, Pantheon Books, 1988.
ii Yasser Munif. “Media is the continuation of War with Other Means: The New York Times’ coverage of the Israeli War in Lebanon ”. The MIT Electronic Journal of Middle East Studies, 2006, p. 126. Disponible à : http://www.mafhoum.com/press10/292P6.pdf. [consulté le 30 septembre 2018].
iii Guy Debord, La société du spectacle, Paris, Les Éditions Buchet Chastel, 1967, p. 21.
iv Jacques Ellul, Histoire de la propagande, Paris, Presses universitaires de France, 1976, p. 9.
v Edward S. Herman et Noam Chomsky, Manufacturing Consent: The Political Economy of the Mass Media, New York, Pantheon Books, 1988, p. XVIII.
vi George Landow, Hypertext 3.0, Baltimore, John Hopkins University Press, 2006, pp. 322.
vii Walter Benjamin, L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique. Paris, Payot, 1939, p. 70.
viii Op. cit., note 3, p. 20, 34-35.
ix Op. cit., note 7, pp. 47-48.
x Op. cit., note 7, p. 60.
xi Dominique Cardon, « L’ordre du Web ». Médium 4, no 29, 2001, p. 191‑202.
xii Peter Lamborn Wilson, “Cybernetics & Entheogenics: From Cyberspace to Neurospace ”, Hermetic Library, 19 janvier 1996. Disponible à : <https://hermetic.com/bey/pw-neurospc> [consulté le 30 septembre 2018]
xiii Milad Doueihi, Pour un humanisme numérique, Paris, Seuil, 2011, p. 92.
xiv Op. cit., note 3, p. 10-11.
xv Martin Lee et Bruce Shlain, Acid Dreams: The Complete Social History of LSD: The CIA, the Sixties, and Beyond, New York, Grove Press, 1985.
xvi Michel Foucault, « La naissance de la médecine sociale » et « L’incorporation de l’hôpital dans la technologie moderne », dans Dits et écrits, vol. 2, 1994, pp.2017-280, 508‑521.
xvii Op. cit., note 3, p. 38.
xviii Sophie Fiennes, The Pervert’s guide to Ideology, 2012, notre traduction.
xix Jean-Claude Ravet, « Le corps obsolète? L’idéologie transhumaniste en question ». Relations, 792, octobre 2017, p. 14.
xx Murray Bookchin, Post-scarcity Anarchism. Montreal : Black Rose Books, 1986, pp.287-288.
xxi Salah Basalamah, Le droit de traduire : Une politique culturelle pour la mondialisation, Ottawa, Les Presses de l’Université d’Ottawa, 2009, pp. 94-95 et 109–10.
xxii George I. García et Carlos Guillermo Aguilar Sánchez, “Psychoanalysis and Politics: The Theory of Ideology in Slavoj Žižek ”, International Journal of Žižek Studies, 2, 3, 2008, pp. 125-141.
xxiii Op. cit., note 13, p. 98.
xxiv Op. cit., note 13, p. 127.
xxv Georges Bataille, La part maudite, précédé de La notion de dépense, Paris, Les Éditions de Minuit, 1967, p.23.
xxvi Ibid., p. 27.
xxvii Ibid., p. 25-28.
xxviii Op. cit., note 13, p. 100.
xxix Collin Marshall. “Slavoj Zizek Explains What’s Wrong With Online Dating & What Unconventional Technology Can Actually Improve Your Love Life ”, The Zizek Times, sans date. Disponible à : http://www.zizektimes.com/2017/05/slavoj-zizek-explains-whats-wrong-with…. [consulté le 30 septembre 2018]. Slavoj Zizek, « UMBR(a), From ‘Passionate Attachments’ to Dis-Identification », 1998. Disponible à : http://www.lacan.com/zizekpassionate.htm. [consulté le 30 septembre 2018].
xxx Jonathan Durand Folco, À nous la ville! Traité de municipalisme, Écosociété, Montréal, 2017, p.22.
xxxi Op. cit., note 30, p.8.
xxxii Op. cit., note 3, p. 103
xxxiii Mari Mikkola, Beyond Speech: Pornography and Analytic Feminist Philosophy, Studies in Feminist Philosophy, Oxford University Press, 2017, p. 23.
xxxiv Ibid., p. 92
xxxv Ibid., p. 177-185
xxxvi Gilles Deleuze et Félix Guattari, Capitalisme et schizophrénie 1 : L’Anti-Œdipe, Paris, Les Éditions de Minuit, 1972.
xxxvii Op. cit., note 13, p. 98.
xxxviii Op. cit., note 36, pp. 36-37.
xxxix Op. cit., note 36, p. 74.
xl Op. cit., note 22.
xli Op. cit., note 22.
xlii Slavoj Žižek, Event: A Philosophical Journey Through A Concept, New York, Melville House, 2014.
xliii Op. cit., note 3, p. 30.
xliv Op. cit., note 30, pp. 84-85.
xlv Op. cit., note 30, p. 11.
xlvi Peter Lamborn Wilson, « A Network of Castles . » Hermetic Library, 5 décembre 1997, notre traduction. Disponible à : <https://hermetic.com/bey/network-castles> [consulté le 30 septembre 2018]
par Alexandre Dubé-Belzile | Mai 21, 2019 | Idées, Societé
La « révolution » hypertextuelle
Notre article s’inscrit en quelque sorte dans la foulée des questionnements lancés par Noam Chomsky dans les années 1980 avec Manufacturing Consenti, ouvrage qui mérite grandement une mise à jour. Dans ce premier texte d’une série de trois articles, nous aborderons les espoirs déçus de la « révolution numérique », et plus précisément l’hypertexte. Nous traiterons aussi des dynamiques de contrôle émergentes qui ont empêché ces derniers de réellement surmonter l’hégémonie auparavant instaurée par l’imprimé. Dans quelle mesure pourrions-nous libérer l’hypertexte, et les médias qui en dépendent, des contraintes imposées par le système capitaliste international? Nous aborderons les espoirs placés dans l’hypertexte en mobilisant, entre autres, les écrits de George Landowii, de Guy Debordiii, de Walter Benjaminiv et de Jonathan Durand Folcov, avant de traiter des problèmes que sont sa commodification et l’ancrage de ses structures dans des moyens de production bel et bien aux mains d’une minorité. Un deuxième texte suivra, pour aborder plus précisément la question des médias hypertextuels eux-mêmes. Dans un troisième texte, nous chercherons à émettre des pistes de réflexion pour poursuivre la lutte grâce, entre autres, au médium même qui permet la diffusion de ce texte, c’est-à-dire la revue L’Esprit libre.
« Et sans doute notre temps […] préfère l’image à la chose, la copie à l’original, la représentation à la réalité, l’apparence à l’être […] Ce qui est sacré pour lui, ce n’est que l’illusion, mais ce qui est profane, c’est la vérité. Mieux, le sacré grandit à ses yeux à mesure que décroît la vérité et que l’illusion croît, si bien que le comble de l’illusion est aussi pour lui le comble du sacrévi. »
Dans son essai intitulé L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, publié à la veille de la Seconde Guerre mondiale, Walter Benjamin abordait la reproductibilité de l’œuvre d’art, et notamment celle du texte. Cette dernière promettait un plus grand accès à la culture et avait le potentiel de démocratiser la création artistique pour presque en faire une banalité du quotidien, non sans la résistance de certaines personnes privilégiées qui perdaient leur pouvoir sur l’art caractérisé par son aura d’unicitévii. Cela dit, ce fut aussi la naissance du média imprimé. La valeur du texte allait alors devenir presque entièrement dépendante de l’ampleur de son public, menant à une « valeur d’exposition »viii, et donc, à une valeur qui dépend de la popularité. Les journaux actuels, pour lesquels la couverture des évènements est souvent dictée par la volonté de tirer leurs numéros au plus grand nombre d’exemplaires possible, illustrent d’ailleurs les effets pervers de cette « désacralisation » du texte et de l’œuvre.
Pour le chercheur George Landow, auteur d’Hypertext 3.0, l’hypertexte, à l’instar de la reproduction mécanisée, devait démocratiser l’information. L’hypertexte est un concept qui fait encore l’objet de polémiques. C’est le sujet de toute une thèse de doctorat du professeur Samuel Archibald. Même si Le Robertix, par exemple, définit l’hypertexte comme « système de renvois permettant de passer d’une partie d’un document à un autre », nous entendons davantage le texte lui-même comme transcendant les limites de l’écrit papier, c’est-à-dire qui est le renvoi d’autres textes et qui renvoie à d’autres textes, ou encore à du son, à de la vidéo, à des images, et qui « incarne », selon certain·e·s enthousiastes, les théories poststructuralistesx.
Cela dit, dans l’hypertexte comme pour les autres technologies, l’utopie rêvée doit encore naîtrexi. Landow explique que, à la naissance de l’hypertexte, on l’imaginait comme un environnement autogéré, avec des infrastructures et des plateformes d’échanges sans rapports de pouvoir sur lesquelles tou·te·s pourraient avoir droit au chapitre, sans discours dominé ou dominant, sans subjugation, sans subordination, sans émergence, sans éminence, sans déchéance, sans dépression. Toutefois, des méthodes d’organisation et des pouvoirs centralisés se sont rapidement imposés, canalisant les contenus, les organisant à leur guise. Ces pouvoirs allaient d’ailleurs profiter des nécessités de normalisation des interactions en ligne, réimposant dans ce médium, dès ses balbutiements, la hiérarchie et l’économie politique de l’imprimé. Ensuite, pour des raisons de sécurité, le tissu des réseaux hypertextuels s’est vu déchiré par des mesures de contrôle et des lois qui l’ont fragmenté, territorialisé, subordonné aux pouvoirs étatiques qui cherchaient à éliminer la dissidence et minant fortement son potentiel anti-hégémonique, sans parler du secteur commercial qui a rapidement « commodifié » la numisphèrexii, pour en faire un bien de consommation, vendu au kilo-octet comme les bananes se vendent au kilo. C’est autour de ces espoirs déçus et des nouvelles dynamiques de contrôle émergentes que nous voudrions articuler notre article : dans quelle mesure pourrions-nous libérer l’hypertexte, et les médias indépendants qui en dépendent, des contraintes imposées par le système capitaliste international? Dans ce premier texte, nous comptons d’abord aborder les espoirs placés dans l’hypertexte, en élaborant surtout les propos de Walter Benjamin et ceux de George Landow. Nous avons également interviewé Pierre Lévy, professeur à l’Université d’Ottawa en communication.
André Gunthert, maître des conférences à l’École des hautes études en sciences sociales de Paris, a offert une relecture pertinente des propos de Walter Benjamin en disant que la « dématérialisation des contenus apportée par l’informatique et leur diffusion universelle par Internet confère aux œuvres de l’esprit une fluidité qui déborde tous les canaux existantsxiii ». Pierre Lévy, chercheur en communication de l’Université d’Ottawa, s’est intéressé à la question et fait aussi preuve d’un certain idéalisme en décrivant les changements apportés par les systèmes de communication et de représentations de la numisphère. Pour lui, « la caractéristique essentielle de la nouvelle sphère publique est de permettre à n’importe qui de produire des messages, d’émettre en direction d’une communauté sans frontière et d’accéder aux messages produits par les autres émetteurs [et émettrices] xiv ». Ces moyens de communication seraient en eux-mêmes entièrement démocratiques et démocratisants, tenant compte, de par la structure de la numisphère, du droit de parole de chacun·e, sans hiérarchie aucune, comme les ramifications d’une toile d’araignée dans les espaces vacants ou encore les connexions des neurones du cerveau humain. Il va même jusqu’à affirmer que « la prochaine génération sera capable de diffuser ses messages à la totalité de la planète gratuitement et sans effortxv ». À tout le moins, Facebook, Twitter et Instagram ont réussi à nous en donner l’illusion.
Nous avons eu l’occasion de discuter avec monsieur Pierre Lévy. Selon lui, « il faut regarder les choses à grande échelle. À la fin du XXe siècle, 1 % de la population était connectée à Internet. Ni les grandes compagnies ni les États ne contrôlaient l’Internet ». De nos jours, près de 60 % de la population mondiale est branché sur la numisphère et ce pourcentage augmente très rapidement, surtout en Afrique et en Asie, les pays du Nord ayant déjà atteint un taux de connectivité pratiquement maximal. Cela dit, la majorité des utilisateurs et utilisatrices communiquent par l’entremise des plateformes du « GAFAM » (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft). Ces plateformes se retrouvent dans le « nuage », de gigantesques ensembles d’ordinateurs connectés et qui fonctionne en fait comme une seule machine. Par rapport à ces appareils gigantesques, « nos portables et téléphones cellulaires ne sont que des terminaux ». Toutes les données qui y circulent sont utilisées à des fins commerciales ou par les services de renseignement. Elles ont toutes des liens avec les États et surtout avec le gouvernement américain, qui utilisent tous la numisphère à des fins de manipulation. Monsieur Lévy nous rappelle que, dans les années 1990, l’Internet était marginal, alors qu’aujourd’hui il constituerait l’essentiel de l’espace public. Les grands médias ne seraient que des transmetteurs d’information plus privilégiés au sein d’une multitude de sources. Enfin, ces espaces publics seraient aussi politiques et les « conflits s’y rejouent et s’y compliquent ». Pour ce qui est d’une « utopie politique, ce n’est que le début ». Monsieur Lévy avance aussi que la situation d’oligopole actuelle est susceptible de changer très rapidement. Dans les années 1960 et 1970, IBM détenait 90 % de l’industrie informatique. Dans les années 90, c’était Microsoft. Aujourd’hui, ce sont d’autres entreprises. Pour conclure, monsieur Lévy garde espoir et maintient qu’il faut défendre l’idée que la personne doit être propriétaire de ses données. Selon lui, il faut « que les plateformes renvoient aux utilisateurs [et aux utilisatrices] toutes les connaissances qui sont contenues dans leurs données. Ainsi, on peut donner aux utilisateurs [et aux utilisatrices] une image de leur intelligence collective ». Il faut saisir les outils à notre disposition pour résister aux dynamiques de centralisation caractéristique du capitalisme. Il y a, selon monsieur Lévy, une « dialectique perpétuelle entre les gens qui veulent plus de pouvoir et des dynamiques de réappropriation ». Cela n’est pas étonnant puisque la numisphère est devenue le lieu de sociabilité par excellence. Toute la vie économique, politique, sociale, scientifique s’y retrouve. Le chercheur est conscient qu’il existe une concentration de puissance de calcul aux mains de quelques nœuds plus influents. Il affirme aussi, non sans ironie, que l’égalité absolue serait impossible, à moins d’une dictature planétaire! Néanmoins, il souligne l’importance de la nécessité et la possibilité de redistribuer cette puissance de calcul, et ce, autant que possible.
De son côté, Georges Landow est convaincu que l’hypertexte (ou l’hypermédia, un quasi-synonyme qui souligne peut-être davantage l’aspect multimédia du médium hypertextuel) démocratise l’accès à l’information d’une manière qui le distingue de l’imprimé. Il permettrait, entre autres, l’accès à une variété de publications qui présentent différents points de vue autrement inaccessiblesxvi. C’est comme si on ravivait, dans une mesure encore plus grande, l’enthousiasme qu’avaient pu susciter les pamphlets et les livres de poche à l’ère de l’imprimé. Landow explique aussi pourquoi, selon lui, l’hypertexte serait source d’autonomisation des forces du discours et de celles et ceux qui les mobilisentxvii. Il décrit la technologie comme une prothèse aux organes humains qui, sans nécessairement les remplacer, permettrait une plus grande efficacitéxviii. Selon lui, la technologie, dont l’écriture est sans doute la plus importante à cet égard, permet à tous et à toutes de posséder et d’accéder à de l’information d’une manière qui était impossible avec la seule parole, cette dernière qui, avant l’avènement de la première technologie servant à la figer, devait se contenter de l’écho et de la mémoire comme seuls médiums. La technologie permettrait aussi l’autodidaxie, sans rapports hiérarchiques aucuns, ce qui expliquerait la résistance des milieux universitairesxix. Quoi qu’il en soit, Landow souligne aussi que l’hypermédia permet de lutter contre la tyrannie des discours monolithiques. Enfin, l’hypertexte sous-tendrait la nécessité d’une forme de gouvernance non hiérarchique, décentrée et facile d’accèsxx. Cela n’est pas étranger à l’idéal de L’Esprit libre, qui est de « sortir du média spectacle » et qui cherche à lutter contre l’oligopole des médias hégémoniques.
Richard Day, dans son ouvrage intitulé Gramsci is Dead, prend pour point de départ la notion d’hégémonie de Gramsci et, dans une approche anarchiste, tente de déconstruire et de critiquer les approches marxistes et gramsciennes ainsi que leurs méthodes d’action qu’il considère comme plutôt monolithiques. Il propose diverses pistes de réflexion pour donner lieu à de nouvelles formes de militantisme et à des structures de résistance novatrices. Les médias indépendants sont une de ces propositions d’« action directe » contre l’hégémoniexxi. Nous aimerions rapprocher la notion de « spectacle » qui figure dans la devise de l’Esprit du sens que lui donnait Guy Debord :
« Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation. […] La spécialisation des images du monde se retrouve, accomplie, dans le monde de l’image autonomisé, où le mensonger s’est menti à lui-mêmexxii. »
C’est précisément ce spectacle que nous voulons contourner, détourner, surpasser et transcender dans l’hypertexte et au-delà. Dans une approche anti-spectaculaire, pourrions-nous dire, Milad Doueihi propose aussi certaines idées intéressantes. Pour lui, si, « dans les sociétés jadis dites “primitives” ou “traditionnelles”, les liens de parenté constituent une grille organisant les hiérarchies sociales et politiques, l’amitié, dans ses déclinaisons numériques actuelles, nous donne à voir l’ébauche ou les premiers traits d’un ordre social en mouvement et en formationxxiii ». En d’autres mots, l’hypermédia aurait le potentiel de déhiérarchiser la structure même de la société. Ne serait-ce pas ce potentiel même que voudraient déployer nos médias antihégémoniques?
Landow, de son côté, analyse également l’hypertexte d’un point de vue postcolonial. En effet, la numisphère offrirait aux peuples colonisés, récemment décolonisés ou en processus de décolonisation, selon le point de vue, la possibilité d’écrire et de diffuser leurs propres nouvelles et, aux chercheurs et aux chercheuses du postcolonialisme, souvent installé·e·s en Occident, de lire ce que les auteurs, autrices et critiques des pays du Sud ont eux-mêmes à dire sur la question, ces derniers ayant auparavant été largement passés sous silence en raison des contraintes du système de distribution des écrits imprimés, en grande partie sous le contrôle des pays du Nord. Landow aborde ensuite le livre comme étant, tout comme le journal, une dépossession du locuteur ou de la locutrice de sa parole. Nous revenons encore une fois à Debord :
« L’écriture est son arme [à l’État]. Dans l’écriture, le langage atteint sa pleine réalité indépendante de médiation entre les consciences. […] Avec l’écriture apparaît une conscience qui n’est plus portée et transmise dans la relation immédiate des vivants : une mémoire impersonnelle, qui est celle de l’administration de la sociétéxxiv. »
Le fait de se voir imposé, par l’imprimé, le système de pensée d’un·e autre rendrait l’assujettissement encore plus inextricable. Les propos de Landow sous-entendent que l’hypermédia permettrait, par la vidéo, le son, les images, de recréer, dans une certaine mesure, la spontanéité de la culture orale, en plus de visibiliser les manifestations culturelles auparavant marginalisées et de déhiérarchiser les rapportsxxv. L’hypertexte aurait donc un potentiel décolonisateur et pourrait permettre une reprise de contrôle culturel par les peuples qui ont souffert de la colonisation, à qui on avait imposé un système d’écriture et de diffusion européen. L’hypermédia permettrait de revaloriser la tradition orale, jusque-là infériorisée par rapport à l’écrit, et aussi de valoriser d’autres formes d’écriture, non régies par les règles aristocratiques ou bourgeoises du système d’écriture européenxxvi. Cet aspect de la question hypertextuelle est extrêmement intéressant. Les liens possibles d’un article vers d’autres articles et vice-versa sont une chose, mais ces propos nous inviteraient à mobiliser davantage la vidéo et le son et à faire appel à des qualités esthétiques qui vont au-delà du formalisme et de la présumée objectivité des médias hégémoniques, empruntant au cinéma ou à la littérature, aux œuvres multimédias. Cela dit, l’hypermédia n’a pas encore été en mesure de transformer la langue elle-même pour en faire un espace autogéré. Dans un deuxième article, nous aborderons les médias hypertextuels eux-mêmes et les enjeux posés par la nature du médium auquel ils font appel.
CRÉDIT PHOTO: Gerd Altmann, Pixabay
i Edward S. Herman et Noam Chomsky, Manufacturing Consent: The Political Economy of the Mass Media, New York, Pantheon Books, 1988.
ii George Landow, Hypertext 3.0, Baltimore, John Hopkins University Press, 2006.
iii Guy Debord, La société du spectacle, Paris, Les Éditions Buchet Chastel, 1967
iv Walter Benjamin, L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique. Paris, Payot, 1939.
v Jonathan Durand Folco, À nous la ville! Traité de municipalisme, Écosociété, Montréal, 2017.
vi Feuerbach, Préface à la deuxième édition de L’Essence du christianisme, cité par op. cit., note 3, p.9
vii Op. cit., note 4, p.1-10
viii Op. cit., note 4, p. 16-18
ix Alain Rey, A. et Josette Rey-Debove. Le nouveau Petit Robert, Paris, Société Dictionnaires Le Robert, 2008.
x Samuel Archibald. « Le texte et la technique : La lecture à l’heure des nouveaux médias (Mémoire de doctorat) ». Université du Québec à Montréal, 2008.
xi Op. cit., note 2, p. 321
xii Op. cit., note 2, p. 322
xiii André Gunthert, « L’œuvre d’art à l’ère de son appropriabilité numérique », L’Atelier des icônes. Carnets de recherche d’André Gunthert, 14 novembre 2011. Disponible à : <http://histoirevisuelle.fr/cv/icones/2191> [consulté le 30 septembre 2018].
xiv Pierre Lévy. « Le médium algorithmique ». Sociétés, 3, 129, 2015, p. 80.
xv Ibid., p. 80.
xvi Op. cit., note 2, pp. 325-330.
xvii Op. cit., note 2, p. 336.
xviii Op. cit., note 2, p. 337.
xix Op. cit., note 2, p. 339.
xx Op. cit., note 2, pp. 343-345.
xxi Richard J. F. Day, Gramsci is Dead:Anarchist Currents in the Newest Social Movements, Toronto, Pluto Press, 2005, pp. 38-39.
xxii Milad Doueihi, Pour un humanisme numérique, Paris, Seuil, 2011, p.10.
xxiii Op. cit., note 23, p. 85.
xxiv Op. cit., note 3, p. 82.
xxv Op. cit., note 2, pp. 348-349.
xxvi Op. cit., note 2, pp. 345-347.
par Thomas Deshaies | Nov 18, 2016 | Opinions
Et demandent à être inclus dans le débat
(LETTRE OUVERTE) Nous sommes des médias indépendants, certains imprimés, d’autres en partie numérique, d’autres 100% numériques. Nous appuyons les journaux qui, réunis au sein d’une coalition en septembre, en ont appelé à une aide d’urgence de l’État pour faciliter leur transition vers le numérique. Mais tout en appuyant cette Coalition, nous soutenons que cet appel à l’aide doit être élargi à d’autres médias.
Ce n’est pas parce que, au contraire d’eux, nous avons déjà les deux pieds dans le numérique que nous sommes en bonne santé. Nous sommes de petits médias, indépendants des conglomérats. Nos revenus publicitaires sont maigres et peu d’entre nous avons des abonnés payants. Plusieurs d’entre nous ont développé une formule de membrariat novatrice, mais nous avons également besoin d’un soutien financier pour pérenniser notre approche et permettre l’essor véritable de nos médias.
Les tumultes des dernières décennies ont occasionné une reconfiguration du paysage médiatique et le Québec est toujours l’un des endroits au monde où la concentration et la convergence des médias sont les plus importantes. Ainsi, un petit nombre de propriétaires possèdent presque l’entièreté des médias, ce qui ne peut qu’être un obstacle à l’expression d’une diversité des points de vue. Dans l’état actuel des choses, il est difficile pour les médias alternatifs, indépendants et communautaires de survivre et encore plus d’émerger.
Et pourtant, certains d’entre nous produisons plus de contenu journalistique inédit chaque semaine que certains des médias représentés dans la coalition. Si nous sommes plus que d’accord sur le rôle historique des médias dans nos sociétés, il ne faut surtout pas oublier qu’il est tout aussi important que les lecteurs puissent avoir accès à une diversité de sources de qualité pour mieux s’informer. En effet, tous les médias ont leur ligne éditoriale et une culture particulière qui leur est propre. La multiplicité des médias et de leurs approches journalistiques favorise la diffusion d’une pluralité de points de vue, ce qui est essentiel à tout débat démocratique sain. Il ne faudrait donc pas se contenter d’aider seulement les médias écrits déjà bien établis. Certes, supportons-les dans leur transition, mais n’oublions pas que le paysage médiatique québécois manque de diversité depuis déjà longtemps. Saisissons donc aussi cette occasion pour pallier à un déficit démocratique non négligeable.
Si nous sommes plus que d’accord sur le rôle historique des médias dans nos sociétés, il ne faut surtout pas oublier qu’il est tout aussi important que les lecteurs puissent avoir accès à une diversité de sources de qualité pour mieux s’informer.
Nous appuyons la plupart des demandes, aussi bien celles du Devoir le 25 août que de la Coalition pour la pérennité de la presse d’information le 27 septembre : par exemple, une intervention sur différents domaines comme le crédit d’impôt pour l’embauche de journalistes, une reconnaissance pour avoir accès à des programmes pour la mutation des activités vers le web, la possibilité de faire partie des programmes pour PME (et OBNL) pour le marketing web et la formation numérique du personnel. Bien entendu, la façon dont ces aides seraient distribuées resterait à discuter, afin de ne pas nuire à l’indépendance journalistique des médias. Nous croyons nous aussi que l’État québécois doit reconnaître le rôle distinctif et essentiel des médias dans la culture québécoise. Et nous assistons nous aussi avec inquiétude à la fuite des revenus publicitaires vers Facebook ou Google.
Nous croyons nous aussi que l’État québécois doit reconnaître le rôle distinctif et essentiel des médias dans la culture québécoise.
Mais ces demandes doivent aussi s’appliquer aux médias indépendants de l’écrit et du numérique. Peut-être faudra-t-il établir des critères quant au type de médias qui pourrait se qualifier de journalistique. Mais ces médias «admissibles» ne peuvent pas se retrouver exclusivement parmi les journaux quotidiens et hebdomadaires. Une aide financière d’une durée de cinq ans, comme le suggère la Coalition, nous permettrait d’investir durablement dans le numérique, et surtout de nous concentrer sur ce que nous faisons de mieux : du journalisme.
Gabrielle Brassard-Lecours, Ricochet
Josée Nadia Drouin, Agence Science-Presse
Christiane Dupont et Philippe Rachiele, JournaldesVoisins.com
Mariève Paradis, Planète F
Ainsi que :
Stéphane Desjardins, Pamplemousse.ca
Nathalie Desrape, Ensemble
Nelson Dion, Journal Mobiles
Pierre Dubuc, L’Aut’Journal
Nicolas Langelier, Nouveau Projet
Audrey Miller, L’École branchée
Michel Préville, Québec Oiseaux
Marc Simard, Le Mouton Noir
Emiliano Arpin-Simonetti, Revue Relations
Claudine Simon, Les Alter Citoyens
Thomas Deshaies, L’Esprit Libre