par Anonyme | Déc 1, 2020 | International
Cet article est publié dans le numéro 86 de nos partenaires, la Revue À bâbord!. Un texte de David Sanschagrin, politologue.
Le président républicain Donald Trump, aussi radicalement ignorant, mythomane et raciste soit-il, n’est pas une aberration : il est issu de dizaines d’années de radicalisation du Parti républicain et du mouvement conservateur américain.
La polarisation de la société américaine est un phénomène asymétrique. Depuis les années 1990, le camp républicain est devenu idéologiquement « extrême ». Il récuse une approche basée sur le compromis bipartiste et sur la science, en adoptant plutôt une politique démagogique victimaire et en percevant le centriste Parti démocrate comme un opposant illégitime1.
Radicalisation conservatrice
Cette radicalisation résulte à la fois d’un sentiment de menace existentielle face à une société plus éduquée, mondialisée, libérale et diversifiée, et d’une volonté de défendre les intérêts économiques et culturels de l’Amérique « traditionnelle » : blanche, chrétienne, patriarcale, non universitaire, rurale et conservatrice. Cette radicalisation s’est aussi nourrie de l’influence grandissante des talk radios et des think tanks conservateurs ainsi que de la droite chrétienne. Plus récemment, le média de masse hyper partisan Fox News2 et la propagation d’idées conspirationnistes grâce aux médias sociaux3 ont accentué cette droitisation. Les médias traditionnels, quant à eux, ne colporteraient que de « fausses nouvelles ». De la sorte, l’électorat républicain est prisonnier d’une réalité alternative, alimentée par le ressentiment.
Cette radicalisation de l’espace médiatique conservateur tire à son tour le Parti républicain vers la droite, rendant impossible tout compromis avec le Parti démocrate.
Politique confuse et instrumentale
Selon le récit populiste et conservateur, des élites progressistes et cosmopolites corrompraient l’Amérique « ordinaire ». Pour mettre fin à leur tyrannie libérale et bien-pensante, un chef rebelle devrait faire le ménage à Washington (« Drain the Swamp ») et rétablir la grandeur de l’Amérique (« Make America Great Again »), en libérant le peuple d’un État fédéral totalitaire.
Or, dans les faits, les républicains sont les promoteurs des intérêts des capitalistes globalistes, lesquels contribuent justement à corrompre la vie publique par un financement politique privé et incontrôlé, en plus de miner l’économie locale, pourtant tant vantée par les conservateurs. Par exemple, les frères milliardaires Koch, très présents dans l’industrie pétrolière, financent la nomination de juges et l’élection d’élus socialement conservateurs et économiquement libertariens. Bref, l’Amérique simple et vertueuse des conservateurs est un mythe et une bonne partie de la base républicaine, de classe moyenne, vote contre ses propres intérêts.
Le Parti républicain ne peut que proposer une politique confuse, incohérente, inconstante et instrumentale. L’unité du Parti, et du mouvement hétéroclite sur lequel il s’appuie, ne peut d’ailleurs se faire que grâce à un ennemi commun : la gauche déphasée.
Trump, l’ancienne vedette de télé-réalité, joue ainsi le rôle du président rebelle, tout en défendant les intérêts des ultra-riches (réduction d’impôts, dérégulation environnementale, etc.), en s’enrichissant personnellement, en corrompant de façon éhontée les institutions publiques (pardon de ses proches conseillers emprisonnés, demande à l’Ukraine de lancer une enquête pour salir son opposant Joe Biden, etc.). Un reportage révélait aussi qu’il pratiquait l’évasion fiscale chronique et était sous enquête pour fraude fiscale4. Trump doit donc se maintenir au pouvoir pour éviter la justice.
Si Trump devait s’attaquer au marais boueux de Washington et restaurer la grandeur de l’Amérique, il a plutôt transformé la présidence en une entreprise privée corrompue et dysfonctionnelle, carburant aux conflits d’intérêts et à la haine raciale.
Malgré ses frasques et son immoralité, Trump a su conserver le soutien du mouvement conservateur, en répondant notamment aux attentes des suprémacistes blancs et des milices (mur à la frontière mexicaine, politique d’immigration raciste, légitimation de l’extrême droite, etc.) et de la droite chrétienne (nomination des juges approuvés par la Federalist Society, un think tank juridique hyper-conservateur).
Toutefois, ses guerres commerciales ont affaibli l’économie du Midwest, qui lui a donné la victoire en 2016. De plus, sa gestion désastreuse de la pandémie a mené à l’accumulation de morts et des chômeurs, dans un pays vouant un culte au travail et liant la couverture médicale à l’emploi. Ces deux phénomènes expliquent en bonne partie l’effritement de son électorat dans les États clés du Midwest (Michigan, Pennsylvanie, Wisconsin), où s’est jouée l’élection de 2020.
Mouvance antidémocratique
En plus de pratiquer une politique de la terre brûlée face aux démocrates, les républicains ont aussi mis en place un impressionnant arsenal antidémocratique pour se maintenir au pouvoir malgré une base démographique blanche déclinante : redécoupage électoral arbitraire et agressif; obstruction parlementaire systématique; limitation du vote des personnes racisées; prise en otage de l’exécutif lors du vote des crédits pour réduire les dépenses sociales, forçant la fermeture du gouvernement en 2013 et 2018; défense du collège électoral, où les États républicains sont surreprésentés; opposition à la régulation du financement politique; nomination de juges partisans et hyper-conservateurs.
Lors de l’élection contestée de 2000, une majorité conservatrice (5 contre 4) à la Cour suprême a donné la présidence à George Bush, en mettant arbitrairement fin au recomptage des voix en Floride. Les républicains ont aussi bloqué la nomination d’un juge modéré, par le président Barack Obama en février 2016, arguant qu’il s’agissait d’une année électorale, pour éviter le virage libéral de la Cour. Or, après le décès de la juge progressiste Ruth Bader Ginsburg, en septembre 2020, les républicains ne se sont pas embarrassés du précédent créé en 2016. Entrevoyant la défaite en novembre, ils ont entériné rapidement la nomination de la juge Amy Coney Barrett, alors même que le processus électoral avait débuté. Barrett appartient à une secte catholique rigoriste, est opposée à l’avortement et au mariage gai, nie les changements climatiques et a fait partie de l’équipe juridique républicaine derrière la décision Bush v. Gore (2000), avec deux autres juges de la Cour : Brett Kavanaugh et John Roberts.
Contrôlant la présidence et le Sénat depuis 2016, les républicains ont ainsi pu nommer trois juges, afin de renforcer la mainmise conservatrice sur la Cour (6 contre 3). De la sorte, les républicains vont pouvoir protéger leurs acquis malgré le retour au pouvoir des démocrates, en bloquant ou en invalidant des lois progressistes (ex. : l’Obama Care) et en renversant des jugements historiques (ex. : Roe v. Wade, sur l’avortement). La Cour suprême, dominée par les conservateurs, est un puissant instrument réactionnaire et antidémocratique.
La suite des choses
Légèrement en avance le soir de l’élection, Trump a revendiqué la victoire et demandé la fin du comptage des votes dans les États du Midwest en invoquant, sans preuve, des fraudes électorales, sachant que ces États allaient lui échapper dès que l’on commencerait à compter les votes par correspondance, majoritairement démocrates. Les républicains ont enclenché plusieurs contestations judiciaires, pour réfuter la victoire de Biden dans ces États clés. De plus, la rhétorique incendiaire du président va nuire à l’acceptation du résultat de l’élection par ses partisans et par les milices d’extrême droite (comme les Proud Boys, à qui Trump a demandé, lors du premier débat présidentiel, de rester sur le qui-vive).
Si Biden a gagné le vote populaire et le collège électoral, le « trumpisme » a démontré sa force et sa pérennité, avec plus de 70 millions d’électeurs (environ 48 % des votes). Biden fera ainsi face à une société profondément divisée et, probablement, à un Sénat sous contrôle républicain. Et, comme Franklin Roosevelt en 1935, il aura devant lui une Cour suprême réactionnaire et devra, peut-être, élargir le banc des juges pour y nommer des progressistes.
1 Thomas Mann et Norman Ornstein, It’s Even Worse Than It Looks: How the American Constitutional System Collided with the New Politics of Extremism, New York, Basic Books, 2016.
2 Les gazouillis de Trump sur Twitter sont d’ailleurs influencés par Fox News. Voir Matthew Gertz, « I’ve Studied the Trump-Fox Feedback Loop for Months. It’s Crazier Than You Think », [en ligne], https://www.politico.com/magazine/story/2018/01/05/trump-media-feedback-….
3 Par exemple, pour QAnon, les élites libérales contrôlant l’État profond seraient des pédophiles sataniques que seul Trump pourrait arrêter. Voir Adrienne LaFrance, « The Prophecies of Q », [en ligne], https://www.theatlantic.com/magazine/archive/2020/06/qanon-nothing-can-s…
4 R. Buettner, S. Craig et M. McIntire, « The President’s Taxes », [en ligne], https://www.nytimes.com/2020/09/29/podcasts/the-daily/donald-trump-taxes…?
par Rédaction | Avr 7, 2017 | Analyses, International
Par Raphael Robitaille
Le climat de tension entre la Russie et les États-Unis a frôlé plusieurs fois l’explosion ces dernières années, et ce, plus de 20 ans après la fin de la guerre froide. Nombre d’enjeux attisent l’antagonisme entre Washington et Moscou tels que le conflit ukrainien et la crise syrienne, pour ne mentionner que les plus récents. Les points de discorde entre les deux puissances se multiplient et se cristallisent, rappelant à certain·e·s observateurs et observatrices les moments les plus chauds de la guerre froide. L’administration Trump a exprimé sa volonté de rapprochement entre les deux pays lors de la campagne électorale. Or, la situation semble encore bien loin d’un rétablissement durable des relations.
DE BUSH À OBAMA : LES GRANDES LIGNES
L’éphémère rapprochement entre George W. Bush et Vladimir Poutine qui a fait suite aux événements du 11 septembre 2001 n’aura été qu’un court moment ensoleillé dans les orageuses relations russo-américaines. La présence états-unienne en Asie centrale, pourtant consentie par le Kremlin, et l’intervention en Irak ont tôt fait de raviver plusieurs points de tension entre Washington et Moscou[i]. Il faut également dire que les vagues d’expansion de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) encore plus près des frontières russes[ii] et le projet de bouclier antimissile en Europe de l’Est préoccupent le Kremlin[iii], sans oublier les « révolutions de couleur » dans l’ancienne sphère soviétique[iv]. Du côté américain, on reproche à la Russie l’instrumentalisation politique des exportations d’énergie, sa dérive autoritaire et la vente d’armement à des régimes dictatoriaux. Cette conjoncture contribue à l’effritement des canaux de communication bilatéraux et la relation en devient plus tendue, chacun campant ses positions plus durement[v].
À l’occasion des Jeux olympiques de Pékin en 2008, l’impensable se produit. Entre une présence états-unienne de plus en plus forte dans l’espace postsoviétique et une Russie qui peine à conserver sa sphère d’influence au profit de l’Occident, la Géorgie de la « révolution des roses », qui a porté au pouvoir le pro-occidental Mikheil Saakashvili, se fait courtiser par les États-Unis en vue d’une éventuelle adhésion à l’OTAN. Moscou entend bien réagir à cet affront vis-à-vis ses intérêts. Le 7 août, à la suite d’une opération de la Géorgie visant à reprendre le contrôle des régions sécessionnistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud, toutes deux soutenues par Moscou, les Forces fédérales russes traversent la frontière géorgienne. La « guerre de cinq jours » prend fin le 12 août avec l’armée russe aux portes de Tbilissi, la capitale géorgienne. Résultat du climat géopolitique hautement tendu régnant dans l’espace postsoviétique, au Caucase en particulier, la guerre russo-géorgienne a profondément ébranlé les fondements de la sécurité européenne. La hausse vertigineuse des tensions qu’elle a provoquée a amené l’Occident très près d’une guerre avec la Russie[vi].
Après l’escalade de la guerre de cinq jours, les relations entre les deux puissances se stabilisent. L’arrivée au pouvoir de nouveaux présidents des deux côtés, Barack Obama aux États-Unis et Dimitri Medvedev en Russie, donne lieu à ce que l’on appelle couramment le reset. En effet, Américain·e·s et Russes entendent repartir sur de nouvelles bases de collaboration et tentent de balayer les antagonismes passés[vii]. Quelques avancées notables se produisent telles que les négociations sur les missiles balistiques (nouveau traité START), une coopération économique accrue et un climat entre les deux nations somme toute plus cordial, mais la politique du reset reste fragile[viii].
Tout se gâte réellement autour de la crise ukrainienne qui éclate en novembre 2013. Le refus du président Viktor Ianoukovitch de signer un accord économique avec l’Union européenne au profit d’un accord avec la Russie déclenche la « révolution de Maïdan » qui renverse le gouvernement ukrainien dans ce que Moscou qualifie de « coup d’État » contre un gouvernement élu démocratiquement[ix]. S’en suit une rébellion armée dans la région du Donbass – à majorité russophone – face au nouveau gouvernement pro-occidental à Kiev qui jouit du soutien américain dans la répression des rebelles. L’Occident, qui appuie le nouveau président issu des élections de l’après-Maïdan Petro Poroshenko, accuse la Russie d’être à l’origine des milices rebelles du Donbass, et d’avoir violé l’intégrité territoriale de l’Ukraine en annexant la Crimée. La légitimité du référendum menant au rattachement de la péninsule à la Russie a d’ailleurs été âprement débattue et contestée dans les chancelleries occidentales. Depuis ces événements, les manœuvres militaires de part et d’autre des frontières russes nuisent à un règlement de la situation, chaque camp s’accusant mutuellement de provocations. L’OTAN a dépêché plusieurs milliers de soldats additionnels, dans les pays baltes notamment, en guise de dissuasion à une agression russe. La Russie s’adonne elle aussi à des exercices de plus en plus près de ses frontières occidentales. Les États-Unis et leurs alliés ont imposé une série de sanctions contre Moscou après l’annexion de la Crimée. Les pourparlers sur la crise ukrainienne ont ainsi subi plusieurs revers jusqu’à l’accord dit de Minsk II signé en février 2015 et qui n’a pas encore été implanté complètement. Entre autres, l’accord de Minsk prévoit le retrait des armes lourdes du front, la cessation des combats, l’échange des prisonniers et l’amnistie pour les séparatistes, autant de mesures non appliquées des deux côtés. Le gouvernement ukrainien doit également procéder à des réformes constitutionnelles sur le statut des républiques séparatistes, chose qui n’a toujours pas été faite malgré les pressions américaines[x]. La question ukrainienne reste à ce jour en suspens et on assiste à une récente recrudescence des combats au Donbass[xi].
Le conflit syrien est probablement l’événement ayant le plus entaché les relations russo-américaines depuis l’implication de la Russie. La coalition occidentale souhaite le départ de Bachar Al-Assad tout en bombardant Daesh et en soutenant différentes factions rebelles. La Russie est quant à elle intervenue afin de « sauver » le gouvernement Assad de la déconfiture et combattre les groupes terroristes (ou les opposant·e·s au régime?), dont Daesh. Moscou a une fois de plus pris par surprise l’administration Obama en intervenant en Syrie, marquant bien son retour en tant qu’acteur international de premier plan[xii]. Sans entrer en détail dans la complexité de la situation, il suffit de souligner que les objectifs des visées de la Russie et des États-Unis sont presque aux antipodes. Cette « guerre par procuration » a ainsi causé plusieurs accrochages diplomatiques, dont le paroxysme a été la suspension des relations bilatérales menaçant de déclencher une troisième guerre mondiale, comme l’a indiqué le premier ministre turc Numan Kurtumulus il y a quelques mois[xiii].
L’ADMINISTRATION TRUMP ET L’AVENIR DES RELATIONS RUSSO-AMÉRICAINES
C’est donc dans ce contexte que l’administration Trump entre en scène. Beaucoup de points de friction se dressent face au rétablissement normal des relations malgré une volonté affichée du nouveau président américain de dénouer les tensions. L’Esprit libre a rencontré le co-coordonnateur de l’Observatoire de l’Eurasie du Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation et spécialiste des questions sur l’espace postsoviétique Yann Breault, afin d’y voir plus clair et de déceler quelques pistes de compréhension pour l’avenir.
D’abord, pratiquement personne ne sait réellement à quoi s’attendre avec Trump en ce qui a trait aux relations avec la Russie. Comme l’affirme Yann Breault : « Mon collègue Irvin Studin disait, un peu à la blague, que Trump pourrait être récipiendaire d’un prix Nobel de la paix et la même journée déclencher une troisième guerre mondiale. » C’est dire le brouillard dans lequel se trouvent les analystes en ce moment. En Russie, grâce aux déclarations en faveur d’un rapprochement lors de la campagne électorale, « certaines personnes bien sûr ont applaudi l’élection de Trump, mais beaucoup font preuve de scepticisme quant à la durabilité de ce renouveau plutôt amical. […] C’est surtout l’imprévisibilité qui est le principal problème », ajoute le spécialiste. On peut dire, pour l’instant, que la porte est ouverte à une collaboration sur plusieurs dossiers qui sont principalement dictés par une convergence d’intérêts. La classe politique en Russie reste tout de même sceptique quant à un rapprochement durable avec les États-Unis.
Parmi les enjeux où une collaboration plus poussée serait envisageable, il y a le conflit syrien, ou plus précisément la lutte contre Daesh. Par contre, plusieurs raisons permettent de douter de la longévité d’un rétablissement des relations sur cette base, « notamment le dossier iranien, où il y a une divergence de point de vue assez importante entre l’administration Trump et les Russes », souligne Yann Breault. Il reste que les divergences d’intérêts et d’objectifs ainsi que le nombre d’acteurs et d’actrices présent·e·s sur le terrain constituent des obstacles de taille. Or, il semble que Trump et Poutine aient une vision relativement semblable, du moins réconciliable, sur la question syrienne. Malgré cela, les récents développements et la montée de ton à l’encontre de la Russie par l’administration Trump au sujet de la Syrie risquent d’empoisonner la possibilité de coopération sur ce point.
L’exploitation pétrolière représente, d’après Yann Breault, un autre enjeu sur lequel une reprise de la collaboration est envisageable. « Si l’on se fie à la nomination de Rex Tillerson au poste de secrétaire d’État, on pourrait être tenté de penser qu’il y a une volonté de renouer avec la collaboration dans le secteur pétrolier […]. Lui-même vient d’une grosse compagnie pétrolière [ExxonMobil] », lance-t-il. Des compagnies américaines, jusqu’à l’imposition de sanctions économiques contre la Russie, étaient impliquées dans des projets d’exploration et d’exploitation pétrolière en Arctique. C’est le cas notamment d’ExxonMobil qui avait essuyé plusieurs revers par le passé. « ExxonMobil avait essayé d’acheter les actions de la compagnie Yukos, une des raisons pour lesquelles l’oligarque Mikhail Khodorkovski a été emprisonné », affirme le spécialiste. La tentative de Khodorkovski de vendre une part importante des actions de Yukos à ExxonMobil sans l’approbation du Kremlin « avait été un des irritants qui avait précipité sa chute politique ». Ainsi, avec la nouvelle administration en place, il n’est pas impossible de voir à l’avenir des projets conjoints entre la Russie et les États-Unis concernant le secteur pétrolier, mais pour Yann Breault, la relation n’en est pas là pour le moment. L’option la plus plausible reste la collaboration contre l’État islamique.
Le désamorçage des tensions est loin d’être une tâche simple, car « les tensions qui opposent les États-Unis et la Russie ne sont pas seulement russo-américaines, elles impliquent aussi l’Union européenne ». Comme l’indique M. Breault, « il y a des divergences à l’intérieur des membres de l’Union européenne, donc la perspective d’un réchauffement des relations russo-américaines est bien accueillie dans certaines chancelleries, [mais] elle suscite des inquiétudes très grandes auprès d’autres, en Europe de l’Est évidemment, en Pologne principalement ». L’appréhension de certains membres de l’OTAN devant une déstabilisation de la région initiée par la Russie en vue d’affaiblir l’Alliance la pousse à renforcer ses positions en Europe. L’arrivée d’une nouvelle administration américaine a peu de chance de renverser cette tendance selon le spécialiste.
Finalement, sur le plan des sanctions économiques, il ne semble pas y avoir de probabilité d’ouverture à court terme, tout simplement parce qu’elles ne représentent pas un enjeu prioritaire ni pour le gouvernement américain, ni pour le gouvernement russe. « Les Russes ont fait preuve de résilience et ont digéré l’effet des sanctions, par contre, la capacité des entreprises russes d’aller chercher du financement pour des projets de développement est limitée », explique Yann Breault. De plus, le contexte actuel rend les gens d’affaires plutôt récalcitrants à investir en Russie. Les États-Unis, qui font l’objet des contre-sanctions russes, ne voient pas d’urgence non plus pour lever les sanctions, le commerce extérieur avec la Russie étant infime. Le spécialiste de la Russie ajoute : « Il y a une renégociation des rapports de force en cours depuis plusieurs années. Les sanctions et contre-sanctions sont des éléments qui vont être sur la table, mais il faudra voir ce que Poutine a à offrir aux Américain·e·s en contrepartie d’une levée des sanctions. Ce qui est certain, poursuit-il, c’est qu’ils [les Russes] ne lâcheront certainement pas le morceau. » L’enjeu majeur faisant obstacle à la levée des sanctions est la question de la Crimée. À ce sujet, Trump a annoncé, le 14 février dernier, qu’il s’attendait à ce que Moscou retourne la péninsule à l’Ukraine, ce que le Kremlin a immédiatement refusé[xiv]. « Il n’y a aucune ouverture possible et imaginable en Russie pour qu’on revienne sur l’annexion », indique Yann Breault. Ainsi, si l’on se fie à la situation au Donbass, « on peut même douter de la volonté des Russes d’abandonner les rebelles à leur sort et de laisser l’Ukraine rétablir par la force le contrôle sur les régions contrôlées par les rebelles ».
Bref, le chemin vers la levée des sanctions et le retour à une relation cordiale entre la Russie et les États-Unis est parsemé d’embûches, de points de discorde et chargé d’un passé lourd de conséquences. L’arrivée de la nouvelle administration aux États-Unis, bien qu’elle soit en faveur d’un rapprochement, fait face à un défi de taille qui nécessitera plusieurs compromis de part et d’autre. Il est permis de douter de la possibilité d’une reprise durable des relations russo-américaines, mais l’ouverture à la collaboration est tout de même bienvenue compte tenu du niveau de tensions actuel.
[i] Djahili, M-R. & Kellner, T. (2006). « L’Asie centrale, terrain de rivalités », Le Courrier des pays de l’Est, Vol. 5, No. 1057, p. 4.
[ii] Plusieurs vagues d’élargissement de l’OTAN ont en effet admis des États qui faisaient auparavant partie du Bloc communiste. En particulier, celle de 1999 a intégré la République tchèque, la Pologne et la Hongrie, et celle de 2004 la Lettonie, l’Estonie et la Lituanie, les deux premiers ayant une frontière commune avec la Russie. Marchand, P. (2015). « Atlas géopolitique de la Russie. Le grand retour sur la scène internationale », Paris, Autrement, p. 54-55.
[iii] Tardieu, J-P. (2010). « Le bouclier antimissile américain en Europe : Les ambiguïtés de la main tendue », Politique étrangère, No. 2, p. 443.
[iv] Le terme « révolutions de couleur » fait référence à la prise de pouvoir en Serbie, en Ukraine, en Géorgie et au Kirghizistan de gouvernements pro-occidentaux et hostiles à la Russie suite à des pressions populaires contre les dictateurs issus de la vieille garde communiste. Les mouvements sociaux à la base de ces révolutions ont en partie vu le jour grâce à la coordination d’ONG locales avec des ONG occidentales, le tout grassement financé par le Département d’État américain et la CIA. Moscou s’est sentie vulnérable et a vu les événements comme délibérément posés à l’encontre des intérêts de la Russie dans ce qu’elle percevait comme sa sphère d’influence. Pour plus de détails, voir Loizeau, M. (2005). « Comment la CIA prépare les révolutions colorées », Les Grands documentaires, 51 min, https://www.youtube.com/watch?v=1zUg9NrkcAQ, consulté le 10 février 2017.
[v] Graham, T. (2008). « Les relations États-Unis/Russie : une approche pragmatique », Politique étrangère, No. 4, p. 748.
[vi] Asmus, R. D. (2010). « A little war that shook the world: Georgia, Russia, and the future of the West », New-York, Palgrave Macmillan, p. 4.
[vii] Nation, R.C. (2012). « Reset or rerun? Sources of discord in Russian-American relations », Communist and Post-Communist Studies, Vol. 45, No. 3-4, p. 379.
[viii] Blank, S. 2010. « Beyond the reset policy : Current dilemmas of U.S.-Russia relations », Comparative Strategy, Vol. 29, No. 4, pp. 333-336.
[ix] Mandel, M-D. (2015). « Conflit en Ukraine : agression russe ou guerre civile? », Relations, No. 781, p. 32.
[x] Goncharenko, R. (2016). « Ukraine under pressure to implement terms of Minsk peace agreement », Deutsche Welle, en ligne, paru le 5 octobre 2016, http://www.dw.com/en/ukraine-under-pressure-to-implement-terms-of-minsk-…, consulté le 13 mars 2017.
[xi] Dubien, A. (2017). « La reprise des combats au Donbass, à Avdiivka, en 3 minutes », Observatoire France-Russie, en ligne, paru le 2 février 2017, http://obsfr.ru/fr/blogs-et-videos/evenement/article/vozobnovlenie-boev-…, consulté le 13 février 2017.
[xii] Stent, A. (2016). « Putin’s power play in Syria », Foreign Affairs, Vol. 95, No. 1, p. 106.
[xiii] Sims, A. (2016). « US and Russia could ‘start third world war over Syria conflict’, says Turkey », The Independent, en ligne, paru le 17 octobre 2016, http://www.independent.co.uk/news/world/europe/us-russia-third-world-war…, consulté le 17 février 2017.
[xiv] Russia Today. « Trump expects Russia to ‘return Crimea’ – White House », en ligne, paru le 14 février 2017, https://www.rt.com/usa/377346-spicer-russia-return-crimea/, consulté le 17 février 2017.
par Rédaction | Jan 23, 2017 | Analyses, International
Par Maude Parent
Les électeurs et électrices de Donald Trump ont finalement vu leur candidat être sacré 45e président des États-Unis. L’élection américaine du 8 novembre dernier a suscité de vives réactions au sein de la communauté internationale. L’Esprit libre a organisé, une semaine plus tard, une soirée de réflexion portant sur l’analyse des résultats. Retour sur le portrait de cet électorat.
Les milléniaux [1] aux urnes
Un électorat bien particulier était attendu aux urnes, étant prisé tant du côté des démocrates que des républicains. Il s’agit de la génération Y, c’est-à-dire des jeunes entre 18 et 29 ans dont le vote massif aurait pu créer un revirement de situation.
Le 8 novembre 2016, 69,2 millions de jeunes ont été appelés-es à voter, plusieurs pour une première fois, d’après le coordonnateur de la Chaire Raoul-Dandurand et chercheur en résidence à l’Observatoire sur les États-Unis Maxime Minne. Le vote des milléniaux grandira en importance pour les élections à venir puisqu’il s’agit de la génération qui est appelée à prendre le flambeau des baby-boomers. Pourtant, cet important électorat s’est présenté aux urnes à raison de 19%, soit le « pire taux depuis 1972 », indique le chercheur.
Si les milléniaux boudent généralement les élections et sont peu enclins-es à se présenter aux urnes, plusieurs théories expliqueraient la réticence de cette génération à noircir une case sur un bulletin de vote. « On aurait attendu qu’ils aillent aux urnes à cause de l’importance de cette élection, mais on doit prendre en considération qu’on avait des candidats qui ne soulevaient pas l’enthousiasme, explique Maxime Minne. C’est avec un personnage comme Bernie Sanders qu’on attendait une sorte de révolution des milléniaux, mais lorsque ce candidat a fléchi à l’investiture démocrate, on a vu que les partisans de Bernie Sanders se sont opposés à une nomination de Mme Clinton. » En effet, sur les 22 États remportés par Bernie Sanders lors des primaires, 80 % de ses électeurs faisaient partie de ce groupe d’âge. Même si Hillary Clinton a repris certaines idées apportées par M. Sanders, comme le salaire minimum à 15 $ et un meilleur accès à l’éducation, les jeunes ne se sont pas soulevés-es pour lui apporter leur soutien comme cela aurait pu être le cas pour le candidat déchu.
Ce que cet engouement pour Bernie Sanders dit sur les milléniaux, c’est qu’ils et elles sont plus réceptifs et réceptives aux idées de gauche. « Les milléniaux blancs américains s’inscrivent dans cette ligne de pensée de la gauche parce qu’ils se disent contre les idées de leurs parents et sont donc plus libéraux », ajoute Maxime Minne. Ces jeunes voient en la politique américaine un système usé qui ne soutient pas les intérêts de leur génération. Ils se reconnaissent plutôt dans les idées du sénateur du Vermont, qui promeut l’intervention de l’État dans des causes sociales [2]. Par ailleurs, Trump a remporté 37 % des voix contre 55 % pour Clinton chez les 18 à 29 ans, d’après Maxime Minne. « On voit aussi que les jeunes électeurs se tournent progressivement vers les partis tiers et boudent les deux grands partis, observe-t-il. En 2012, les partis tiers ont récolté 3 % des votes des milléniaux contre 8 % cette année. » Le parti libertarien composé des anciens gouverneurs républicains Gary Johnson et Bill Weld a profité de l’impopularité des candidats des deux partis traditionnels pour grimper de manière historique dans les intentions de vote. Gary Johnson se présentait comme un compromis pour les électeurs républicains désabusés devant la candidature de Donald Trump.
Des électorats diversifiés
À la lumière des propos scandaleux prononcés par Donald Trump au sujet des femmes, il n’aurait pas été surprenant de voir un appui massif de l’électorat féminin pour le parti démocrate. Pourtant, ça n’a pas été le cas. Selon la coordonnatrice de l’Observatoire sur les États-Unis (OSEU) et chercheuse en résidence à la Chaire Raoul-Dandurand, Andréanne Bissonnette, la question de la génération Y ressort également pour expliquer la raison pour laquelle les femmes n’ont pas voté massivement pour Hillary Clinton le 8 novembre dernier. « Si les femmes de 18-29 ans ne se sont pas ralliées derrière Mme Clinton, ce n’est pas parce qu’elles ne veulent pas voir une femme devenir présidente, c’est plutôt qu’elles ne veulent pas avoir n’importe quelle femme présidente et à n’importe quel prix », précise-t-elle.
En outre, ce sont 53 % des femmes blanches ont donné leur appui à Donald Trump et ce malgré les propos misogynes qu’il a tenus, d’après Andréanne Bissonnette. Il semble donc que ces paroles ont fait des vagues pendant un certain temps pour retomber rapidement dans l’oubli. « Le vote des femmes n’est pas relié qu’à un seul enjeu et le fait d’avoir une femme candidate ne veut pas nécessairement dire que les femmes vont toutes voter pour elle, pense la chercheuse. Certaines Américaines ont choisi d’appuyer le candidat républicain sur la base de ses propositions économiques, ses propositions en matière d’immigration, sur l’avortement, ses promesses pour la classe moyenne, son discours populiste, pour ne nommer que ceux-là. »
Avec un personnage comme Donald Trump à la tête des États-Unis, plusieurs craignent que le mouvement féministe fasse marche arrière. Pour la chercheuse, le recul du mouvement féministe était déjà amorcé aux États-Unis, mais les positions du prochain président au sujet des droits des femmes viennent légitimer cette réticence plutôt que l’établir. Le plafond de verre n’ayant pas été brisé, l’avenir des femmes en politique ne semble pas pour autant être terni. La candidature d’Hillary Clinton a contribué à mettre en lumière qu’il est possible pour une femme de se présenter au plus haut poste électif de la politique américaine. Les dernières élections ont tout de même illustré que la campagne politique d’une femme est plus laborieuse que celle d’un homme. La couverture médiatique en est en partie responsable. « Les médias parlaient de l’endroit où Hillary Clinton allait faire couper ses cheveux à New York, de son habillement, de si elle avait l’air fatiguée, si elle pleure c’est un signe de faiblesse et son ambition lui était reprochée parce que c’est une qualité masculine, décrit Andréanne Bissonnette. Ce sont des éléments qui affectent non seulement la façon dont les femmes font campagne, mais également leur propension à faire de la politique parce que c’est un parcours qui est parsemé d’embûches auxquelles les hommes n’ont pas à faire face ».
L’électorat féminin n’est toutefois pas le seul dont l’issue du vote a généré une surprise. La faible proportion de votes de la part des électeurs et électrices de 18 à 29 ans a également influencé le résultat du vote ethnoculturel. « La majeure partie de l’électorat hispano-américain était composée de milléniaux, donc bien évidemment l’absence de participation électorale des milléniaux a eu un impact sur le vote total des Hispano-américains et sur la façon dont ils ont appuyé le parti démocrate », estime la coordonnatrice de l’OSEU. L’électorat hispano-américain étant fortement diversifié et concentré en majeure partie dans des États républicains, il leur aurait fallu une sortie spectaculaire aux urnes pour permettre un changement durable dans des États comme l’Arizona et le Texas. Par contre, le vote hispano-américain ne s’est pas avéré aussi pro-démocrate que le prévoyaient les sondages. Pour Andréanne Bissonnette, cela s’explique par le fait que tout comme les femmes, il s’agit d’un électorat diversifié qui a trouvé satisfaction dans les propositions de Donald Trump. Bien que le candidat républicain se soit acharné contre la communauté hispano-américaine, en traitant notamment ses membres de violeurs et de vendeurs de drogue, « leurs préoccupations sont multiples et ne se limitent pas qu’à la question de l’immigration », pense-t-elle. Sa proposition de bâtir un mur à la frontière entre le Mexique et les États-Unis ne les a pas fait reculer dans la mesure où plusieurs jugent avoir trop payé d’impôts sous la présidence de Barack Obama.
Le vote des milléniaux aurait pourtant pu faire une réelle différence dans l’issue du vote. Dans les États tranchants comme la Floride où aucun-e candidat-e n’avait d’avance sur l’autre, Mme Clinton a remporté 57 % des voix chez les 18 à 29 ans contre 35 % pour Donald Trump, selon Maxime Minne. Mais comme seulement 19 % de la génération Y à travers le pays s’est déplacée aux bureaux de vote, ce taux n’a pas été suffisant pour permettre la victoire de cet État clé à Mme Clinton. Il en va de même pour plusieurs autres États. En Ohio, 24 % de l’électorat se trouve dans cette tranche d’âge. S’ils et elles avaient voté en grand nombre, leur poids aurait pu être suffisant pour permettre un autre dénouement. « La grande question maintenant, c’est est-ce que les républicains-es et les démocrates vont avoir une nouvelle stratégie pour aller chercher cet électorat qui devient de plus en plus important pour les élections futures, et qui pourrait permettre de faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre? », lance Maxime Minne.
Le non-vote comme position politique
Les jeunes électeurs-trices américains-es se sont retrouvés-es devant un dilemme. Ils et elles ont été appelés-es le 8 novembre dernier à choisir entre deux candidats-es qui ne leur disaient rien. Ce groupe voulait d’une part appuyer les démocrates, mais ne s’identifiait pas à la candidate, et d’ autre part, il était hors de question pour elles et eux d’appuyer le candidat Donald Trump à cause de ses sorties scandaleuses, de ses propos sexistes, misogynes et xénophobes. Ils et elles ont donc choisi une troisième voie : 81 % des électeurs et électrices de 18 à 29 ans ne se sont pas déplacés-es aux bureaux de vote.
L’ancienne déléguée du Québec à Atlanta et coprésidente de l’Observatoire sur les États-Unis à la Chaire Raoul-Dandurand, Ginette Chenard, peine à comprendre pourquoi les jeunes électeurs et électrices, ne s’identifiant à aucun-e des deux candidats-es, n’ont pas préféré soutenir tout de même les démocrates. « C’est comme perdre son vote, s’exclame-t-elle. Beaucoup de jeunes ne se sont pas présentés-es pour ne pas se compromettre, mais moi j’aurais voté les yeux fermés pour Hillary simplement pour ne pas donner mon appui à Trump ». Ce type de raisonnement est selon elle générationnel.
Le non-vote, plus présent chez les milléniaux que chez les autres électeurs et électrices, devrait être considéré comme une volonté politique à part entière, d’après Andréanne Bissonnette. Les électeurs et électrices qui choisissent délibérément de ne pas se présenter aux urnes démontrent une prise de position éclairée qui laisse entendre leur mécontentement face aux deux principaux partis. « On devrait arrêter de voir l’abstention comme un simple refus des gens de sortir de chez eux et prendre en considération qu’il s’agit d’une volonté politique », croit-elle.
Outre les personnes qui choisissent de ne pas voter, un grand nombre d’Américains-es sont privés-es du droit de vote pour différentes raisons. Parmi ces gens, on compte deux millions d’individus incarcérés et six millions d’autres ayant eu des démêlés avec la justice. « C’est un record mondial, lance Ginette Chenard. Six millions d’Américains ayant terminé leur sentence, qui contribuent à nouveau à la société, ne pourront jamais voter dans une douzaine d’États, les plus stricts étant la Virginie et la Floride. Ensemble, ils totalisent un million d’individus qui se sont vu retirer leur droit de vote. »
Portrait des électeur-trice-s de Trump
Qui sont donc celles et ceux qui ont permis à Donald Trump de devenir hier le 45e président des États-Unis? Ginette Chenard dresse un portrait en trois temps. D’une part, il y a les électeurs-trices de la classe moyenne et de la classe ouvrière, pour la plupart des Blancs-hes sans diplôme et dont le salaire est stagnant. Isolés-es des centres urbains, plusieurs vivent dans des zones économiques défavorisées et marginalisées par les restructurations économiques menées par les grandes firmes internationales où, par exemple l’industrie métallurgique souffre. « Ce sont des individus démoralisés qui ne croient plus au rêve américain, et c’est un message que j’ai entendu je ne sais combien de fois alors que j’étais en poste aux États-Unis », décrit l’ancienne déléguée du Québec à Atlanta. Beaucoup d’entre eux et elles proviennent du Sud ultraconservateur des États-Unis. Ils et elles s’opposent aux idées libérales démocrates. Dans un deuxième temps, les électeurs-trices de Donald Trump sont ce que Mme Chenard qualifie de « rageurs contre le système politique ». Elle décrit cette seconde catégorie comme étant composée de gens qui en veulent à Washington et qui se situent dans l’extrême droite républicaine. Parmi eux et elles comptent des gens fortunés comme des hommes et des femmes d’affaires ainsi que des membres de corporations de Wall Street, des pensionnaires de l’État et plusieurs riches retraités-es. Finalement, le troisième groupe compte « des révoltés sociaux traditionnels et des nouveaux nationalistes blancs, explique-t-elle. Ce sont tous ces gens qui ont trouvé en Trump un type assez osé, à grande gueule, qui était susceptible de porter leur message ».
Les électeurs-trices de Donald Trump ont vu, hier, ce New-Yorkais milliardaire prendre la présidence à la suite de la campagne la plus longue de l’histoire des États-Unis. Le 45e président, maintenant en poste, sera surveillé de près par ceux et celles qui lui ont confié l’avenir des États-Unis.
CRÉDIT PHOTO: Gage Skidmore
[1] Par souci de maintenir l’authenticité du discours des intervenants, le terme « milléniaux » est privilégié dans ce texte même s’il constitue un anglicisme.
[2] SUNKARA, Bhaskar. «Un socialiste à l’assaut de la Maison Blanche» Le Monde diplomatique, janvier 2016. [En ligne] http://www.monde-diplomatique.fr/2016/01/SUNKARA/54471
par Rédaction | Jan 20, 2017 | Analyses, International
Par Sarah Lapré
L’élection de Donald Trump comme 45e président des États-Unis d’Amérique est en soi un bouleversement historique. Cela aura nécessairement des répercussions à l’échelle planétaire. Alors que le Canada et presque l’ensemble de l’Europe s’effraient devant cette nouvelle, la Russie s’en réjouit : cela nous donne un bon aperçu des relations internationales que ce nouveau président va privilégier. Jetons un bref regard sur la politique mouvementée des États-Unis en ce début d’année 2017.
Tout d’abord, il faut s’attendre à ce que les relations politiques entre le Canada et les États-Unis soient ébranlées par le résultat de cette nouvelle élection, tout comme leurs relations socio-économiques. Dans la nuit du 8 novembre 2016, les médias ont annoncé que les marchés boursiers étaient en panique. La surprise fut totale, puisque les statistiques prévoyaient l’élection d’Hillary Clinton. Le 9 novembre 2016, à 7h du matin, le site web d’immigration Canada n’était plus accessible. Le nombre de visites avait dépassé les capacités du serveur. Dans les heures qui ont suivi l’élection de Trump, les demandes en provenance des États-Unis ont été douze fois plus élevées qu’en moyenne[i].
Devons-nous nous attendre à un mouvement massif de la population américaine déçue par cette élection, ou apeurée par les décisions futures de leur nouveau président? Denis Coderre, maire de Montréal, se dit justement prêt à accueillir les nouveaux et nouvelles arrivants-es américains-es[ii].
Pouvons-nous envisager une seconde migration comme celle des loyalistes après la guerre d’indépendance? Le passage du XVIIIe au XIXe siècle fut secoué par la Guerre d’Indépendance américaine qui entraîna l’émigration de plusieurs milliers de loyalistes. En sol canadien, cela a en quelque sorte défini les frontières provinciales. En effet, la révolution américaine de 1776 eut plusieurs effets sur l’évolution du paysage québécois et sur la croissance démographique de la province. Entre autres, cette arrivée américaine entre 1791 et 1812 permit un accroissement de « la population de langue anglaise du Bas-Canada […] de 10 000 à 30 000[iii] », ce qui représentait à l’époque près de 10% de la population totale du territoire. Doit-on s’attendre à un mouvement semblable de la part des Américains-es, en ce début de XXIe siècle? Quels en seront les impacts sur le développement économique, politique et social du Canada?
S’il faut s’attendre à de nombreux bouleversements, il ne faut pas trop s’inquiéter. Andréanne Bissonnette, coordonnatrice de l’observatoire sur les États-Unis à l’Université du Québec à Montréal, croit qu’il est possible de s’attendre à une augmentation, mais non pas à un mouvement tel que ce qui a été vu aux XVIIIe et XIXe siècles. « Ce qui est survenu le 9 novembre, soutient-elle, est un contrecoup de la surprise des Américains face à l’élection de Donald Trump. Passé le choc initial, on peut percevoir une volonté de changer les choses au niveau local, par exemple avec un engagement politique qui se développe durant la campagne et après. » Doit-on s’attendre à un mouvement semblable de la part des Américains-es, en ce début de XXIe siècle ? Quels seront les impacts sur le développement économique, politique et social du Canada ? Les questions sont multiples. Il faut s’attendre à de nombreux bouleversements et les prochaines semaines nous apporteront certainement des éclaircissements.
Le cabinet Trump
La formation du cabinet Trump est préoccupante. En effet, nous avons pu voir plusieurs personnages tout aussi intéressants les uns que les autres se joindre au nouveau président.
Lorsque l’équipe transitoire de Trump a demandé à obtenir la liste des employés-es ayant participé aux conférences sur le réchauffement climatique, ainsi que la liste des publications de ces employés-es, certains-es ont craint que Trump dresse ainsi une liste de ses ennemis-es. L’explication probable est que Trump cherche à déterminer l’efficacité du ministère de l’Énergie, mais sa position sur le réchauffement climatique en fait sourciller plus d’un. Il a entre autres affirmé que le réchauffement climatique était un canular. Le choix de Scott Pruitt comme directeur de l’Agence de protection de l’environnement va en ce sens puisque ce dernier « nie l’influence humaine sur le réchauffement climatique[iv] ». Sur la question de l’environnement, la formation du cabinet Trump est donc hautement inquiétante. En plus de Scott Pruitt, le président a choisi Rick Perry comme Secrétaire à l’Énergie. Ce dernier est un magnat des hydrocarbures, climatosceptique de surcroît.
Aussi, Trump a choisi Rex Tillerson comme secrétaire d’État. Tillerson est PDG de la société pétrolière ExxonMobil. Il a développé des liens très serrés avec la Russie, notamment en ce qui concerne leurs sociétés pétrolières. Il serait reconnu comme étant un ami de Vladimir Poutine, relation dénoncée par certains-es politiciens-nes américains-es[v]. Ses prises de positions sur la lutte contre le réchauffement climatique vont à l’encontre du consensus scientifique : en encouragent l’investissement dans l’or noir, il laisse présager le pire concernant cet enjeu environnemental. Tillerson est lui aussi climatosceptique. Même s’il a reconnu l’existence des changements climatiques, ses actions ne correspondent pas à ses paroles, puisqu’il continue de financer des organismes qui en nient les conséquences[vi].
Les nouveaux et nouvelles membres du gouvernement Trump sont donc nombreux-ses à remettre en question le consensus scientifique sur les changements climatiques qui est pourtant soutenu par les rapports du groupe d’export intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), un organisme des Nations Unies[vii].
Les stratégies du président sont également très contestables. Tout en critiquant l’entreprise Goldmans Sachs, que Trump considère comme étant à l’origine de la crise économique de 2008, ce dernier invite à ses côtés plusieurs membres de cette banque d’investissement américaine[viii]. Steven Mnuchin, secrétaire au Trésor, y a travaillé pendant 17 ans; Gary Cohn, directeur du Budget, possède 175 millions en actions chez cette même entreprise; Stephen Bannon, nouveau conseiller accusé d’être un « white supremacist », y était un ancien banquier.
Trump semble privilégier des membres ayant des opinions radicales envers l’Iran et la Syrie. Il a également choisi des individus non-favorables aux ententes de libre-échange avec le Canada. En effet, son nouveau secrétaire au Commerce Wilbur Ross est, selon Radio-Canada, à l’origine de la critique de l’ALENA, tout comme celle contre l’entrée de la Chine au sein de l’Organisation mondiale du Commerce en 2001[ix].
Position controversée du nouveau président
Les médias font grandement ressentir l’inquiétude générale que provoque la politique protectionniste du nouveau président. Le marché américain est le principal marché d’exportation des marchandises canadiennes et bon nombre d’emplois de notre côté de la frontière dépendent des investissements américains. Trump attaque durement les ententes de libre-échange et espère rétablir l’équilibre commercial en faveur des États-Unis[x]. Comme nous venons de le voir, les valeurs promues par Donald Trump en matière d’économie et de politique ne correspondent plus à l’Accord de libre-échange nord-américain. Le président a également menacé et découragé bon nombre d’entreprises qui avaient des visées au Mexique. Après avoir dissuadé Ford d’investir plus d’un milliard et demi de dollars au Mexique et menacé General Motors de taxer l’entrée des véhicules qu’il y assemble, il s’en est pris à Toyota. « Toyota, a-t-il tweeté, annonce la construction d’une usine au Mexique pour assembler des voitures Corolla pour les USA. NON ! Faites votre usine aux USA ou payez une lourde taxe frontalière[xi] ».
Plusieurs autres enjeux étaient également questionnés durant cette élection : la légalisation de la marijuana, la possession d’armes à feu, la peine de mort, l’aide médicale à mourir, le salaire minimum. La position de Trump sur ces enjeux aura nécessairement un impact au Canada, puisque la plupart de ces questionnements y sont aussi d’actualité. Marise Bachand, spécialiste de l’histoire des États-Unis et enseignante à l’Université du Québec à Trois-Rivières, croit qu’il y aura certainement des conséquences : « Les changements ont déjà commencé. Les marchés n’aiment pas l’imprévisibilité et Trump est de loin le plus imprévisible des présidents élus depuis plusieurs décennies. Ceci étant dit, il faut se rappeler que le parti républicain qui contrôle les deux chambres compte une solide et influente aile libre-échangiste. » Elle rappelle que dans le cadre de la Révolution d’indépendance, les États-Unis ont favorisé l’ouverture de marchés. L’attitude du gouvernement américain ne changera pas aussi rapidement que ce que l’on laisse croire.
Andréanne Bissonnette juge en revanche que la gravité de ces conséquences va dépendre de chaque dossier et va s’inscrire dans la durée. Elle soutient que « la bonne relation Trudeau-Obama permettait l’avancement des dossiers de façon rapide, grâce à leur idéologie commune, et les ententes se faisaient donc facilement. La relation Trudeau-Trump pourrait être plus complexe, plus difficile à établir, mais il ne faut donc pas trop s’inquiéter, puisque Trump reconnait la nécessaire relation particulière avec le Canada du côté commercial. » Notons justement que Trump a affirmé qu’il allait annuler tous les décrets signés par Obama durant les huit années de son mandat[xii].
Finalement, il faut observer de près les actions de ce nouveau président, puisque non seulement les mesures protectionnistes font sourciller certains libre-échangistes canadiens, mais son discours radical envers la guerre en Syrie, et son idée d’élever un mur entre les États-Unis et le Mexique sont également inquiétantes pour l’avenir de la paix mondiale. En janvier 2017, Trump a justement réitéré ses propos en soutenant que le Mexique devra payer le mur qu’il souhaite voir ériger, remboursant ainsi les frais avancés par les contribuables américains-es[xiii]. À la fin de l’année 2016, il a également soutenu qu’il n’avait pas peur d’une course aux armements et que les États-Unis devaient « accroître leur capacité nucléaire »[xiv]. Cette réaction survient alors que le président Poutine réclame un renforcement des forces nucléaires russes[xv].
En décembre, l’Agence centrale de renseignement des États-Unis, la CIA, soutenait que le Kremlin aurait joué un rôle dans l’élection présidentielle[xvi]. On apprend également que le Kremlin aurait espionné le nouveau président et détiendrait des informations compromettantes mettant l’avenir de la politique américaine entre les mains de la Russie. Pourtant, Trump continue d’encenser Poutine, ce qui est inhabituel pour un président américain. Bien que de nombreux-ses sénateurs et sénatrices américains-es du Parti républicain dénoncent l’intrusion russe dans la politique américaine et que les accusations contre Vladimir Poutine vont de la corruption à l’assassinat, le nouveau président continue de soutenir une alliance avec ce dernier et le défend contre les allégations de la CIA. « Trump semble aveuglé par Poutine, qui aurait bel et bien réussi le coup fumant de déstabiliser une élection présidentielle dans la plus puissante démocratie du monde[xvii] », notamment en interceptant les courriels du Parti républicain durant la campagne électorale, peut-on lire sur le site de Radio-Canada. Plusieurs mois plus tôt, Trump aurait même invité la Russie à s’introduire dans le système informatique américain, afin de retrouver les courriels du Parti démocrate, soutenant que les médias les remercieraient[xviii]. Le président a ainsi encouragé l’espionnage contre son opposante politique et il a favorisé l’implication russe dans le dénouement électoral de novembre dernier. Dernièrement, le président Trump a finalement admis que la Russie devait être derrière le piratage informatique du Parti démocrate[xix].
Relations frontalières
Dès son élection, Trump a soutenu qu’il souhaitait conserver un lien très fort avec le Canada. Depuis l’annonce du résultat électoral, Justin Trudeau a indiqué que les relations entre le Canada et les États-Unis resteraient positives, puis il a invité le nouveau président à venir au Canada pour qu’ils puissent discuter de l’avenir de leurs relations[xx]. Les rêves et valeurs qu’ils partagent sont à la base de la solidarité politique entre les deux pays. Trudeau veut à cet égard que leur relation soit un modèle pour le reste du monde. Par contre, les gouvernements n’ont pas la même vision de l’avenir commercial mondial : les relations que le Canada souhaite entretenir avec la Chine sont à l’opposé de ce que Trump cherche à mettre de l’avant dans son programme politique[xxi].
Conséquemment, la politique canadienne risque d’être mouvementée durant les prochains mois. Le remaniement ministériel au Parlement canadien le 10 janvier dernier visait justement à répondre à l’arrivée de Trump[xxii]. Trudeau cherche à offrir au gouvernement américain un cabinet plus « adéquat » en matière de commerce et d’économie. C’est pour cette raison qu’il a nommé Chrystia Freeland ministre des Affaires étrangères. Le Parti conservateur espère que le gouvernement libéral conservera des positions solides en matière de libre-échange, positions qui risquent d’être menacées par le nouveau gouvernement américain. Les réactions des autres partis politiques devant l’élection de Donald Trump sont nettement plus radicales que celle du premier ministre. En effet, Thomas Mulcair a été fortement choqué par le résultat de l’élection, comme le démontre son affirmation : « Comment est-ce qu’un personnage raciste, islamophobe, qui avoue avoir posé des gestes qui constituent des agressions sexuelles, peut devenir président des États-Unis? Je vous avoue que je n’ai pas de réponse aujourd’hui[xxiii]. » Le premier ministre québécois semble du même avis : en effet, il soutient un discours par rapport à l’élection de Trump dans lequel les mots « crainte, incertitude et instabilité » se côtoient[xxiv].
***
La cérémonie d’investiture a eu lieu le 20 janvier 2017. Plus de deux mois après le résultat des élections, Trump fait toujours sourciller les Américains-es et le monde entier. La relation entre le nouveau président et le gouvernement russe soulève toujours bien des questions. La formation de son cabinet est inquiétante. Les manifestations anti-Trump se poursuivent au Canada, aux États-Unis, tout comme en Europe où l’insatisfaction s’est fait sentir en France et en Angleterre.
Il y a cent ans, en novembre 1917, les États-Unis réélisaient Woodrow Wilson avec l’espoir de rester hors de la guerre[xxv]. Pourtant, quelques mois plus tard, les Américains-es se voyaient impliqués-es dans le premier grand conflit mondial. Aujourd’hui, les États-Unis élisent Donald Trump, dont le discours radical ne laisse rien sous-entendre concernant son attitude future.
CRÉDIT PHOTO:
[i] « Est-ce que les Américains envisagent vraiment d’immigrer au Canada après la victoire de Trump? », Radio-Canada, en ligne, paru le 10 novembre 2016. http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/814057/immigration-canada-election-d…, page consultée le 15 décembre 2016.
[ii] « Élections américaines : Denis Coderre lance une invitation aux nouveaux arrivants », Le Huffington Post Québec, en ligne, paru le 9 novembre 2016. http://quebec.huffingtonpost.ca/2016/11/08/elections-americaines-denis-c…, page consultée le 9 novembre 2016.
[iii] Rudin, R., 1985. Histoire du Québec anglophone, 1759-1980. Québec, Institut québécois de la recherche sur la culture, p. 57.
[iv] « À quoi ressemblera l’administration Trump? », Radio-Canada, en ligne, paru le 1 décembre 2016, mis à jour le 11 décembre 2016. http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1003237/administration-trump-postes-…, page consultée le 15 décembre 2016.
[v] « Trump nomme le PDG d’ExxonMobil secrétaire d’État », Radio-Canada, en ligne, paru le 13 décembre 2016, mis à jour le 14 décembre 2016. http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1005488/trump-etats-unis-choix-secre…, page consultée le 15 décembre 2016.
[vi] Neela Banerjee, « Rex Tellerson’s Record on climat change : rhetoric vs reality », inside climate news, en ligne, paru le 22 décembre 2016. https://insideclimatenews.org/news/22122016/rex-tillerson-exxon-climate-…, page consultée le 9 janvier 2017.
[vii] Sur cette question, voir l’article de Gaétan Pouliot et illustré par Jasmin Simard, sur Radio-Canada : http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/special/2015/11/bd-science-climatos…
[viii] « Trump, le Cabinet des milliardaires », Radio-Canada, en ligne, paru le 3 décembre 2016, mis à jour le 4 décembre 2016. http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1003662/trump-cabinet-millionnaires-…, page consultée le 15 décembre 2016.
[ix] « À quoi ressemblera l’administration Trump? », Radio-Canada, en ligne, paru le 1 décembre 2016, mis à jour le 11 décembre 2016. http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1003237/administration-trump-postes-…, page consultée le 15 décembre 2016.
[x] « Trump en remet contre les services de renseignement américain », Radio-Canada, en ligne, paru le 11 janvier 2017. http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1010184/trump-donald-president-affro…, page consultée le 12 janvier 2017.
[xi] Bernard Guetta, « Dans la tête de Donald Trump », France inter, en ligne, paru le 6 janvier 2017. https://www.franceinter.fr/emissions/geopolitique/geopolitique-06-janvie…, page consultée le 9 janvier 2017.
[xii] « Donald Trump va vouloir effacer le bilan Obama dès son premier jour », Le Devoir, en ligne, paru le 15 janvier 2017. http://www.ledevoir.com/international/etats-unis/489250/pour-son-premier…, page consultée le 16 janvier 2017.
[xiii] Associated Press, « Trump assure que le Mexique paiera le mur », Le Devoir, en ligne, paru le 6 janvier 2017. http://www.ledevoir.com/international/etats-unis/488598/trump-assure-que…, page consultée le 9 janvier 2017.
[xiv] Élodie Cuzin, 2016, « Donald Trump agite le spectre d’une course aux armements », Le Devoir, en ligne, paru le 24 décembre 2016. http://www.ledevoir.com/international/etats-unis/487798/washington-reagi…, page consultée le 9 janvier 2017.
[xv] « Première mésentente Trump-Poutine, aux relents de guerre froide », Radio-Canada, en ligne, paru le 22 décembre 2016. http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1007393/russie-etats-unis-vladimir-p…, page consultée le 9 janvier 2017.
[xvi] « Trump denies CIA’s assessment that Russia tried to help him win election », The Washington Post, en ligne, paru le 9 décembre 2016. https://www.washingtonpost.com/video/politics/cia-assessment-russia-trie…, page consultée le 15 décembre 2016.
[xvii] Christian Latreille, « La très étrange relation Trump-Poutine », Radio-Canada, en ligne, paru le 14 décembre 2016. http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1005769/etrange-relation-donald-trum…, page consultée le 15 décembre 2016.
[xviii] « Trump invite la Russie à pirater les courriels de Clinton », Radio-Canada, en ligne, paru le 27 juillet 2016. http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/795110/trump-courriel-clinton-pirata…, page consultée le 15 décembre 2016.
[xix] « Trump dénonce les “fausses informations” le liant à Moscou », Le Devoir et L’Agence France-Presse, en ligne, paru le 11 janvier 2017. http://www.ledevoir.com/international/etats-unis/488907/trump-fera-bient…, page consultée le 12 janvier 2017.
[xx] « Trudeau s’entretient avec Trump et l’invite au Canada à la première occasion », Radio-Canada, en ligne, paru le 9 novembre 2016, mis à jour le 10 novembre 2016. http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/813639/justin-trudeau-donald-trump-c…, page consultée le 15 décembre 2016.
[xxi] Agence France-Presse, 2017, « Les clans Trump et Trudeau en discussion pour “éviter une guerre commerciale” », Le Devoir, en ligne, paru le 9 janvier 2017. http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/488754/les-clans…, page consultée le 11 janvier 2017.
[xxii] Hélène Buzzetti, 2017, « Trudeau se prépare à l’ère Trump », Le Devoir, en ligne, paru le 11 janvier 2017. http://www.ledevoir.com/politique/canada/488837/remaniement-cabinet-trudeau, page consultée le 12 janvier 2017.
[xxiii] « Trudeau s’entretient avec Trump et l’invite au Canada à la première occasion », Radio-Canada, en ligne, paru le 9 novembre 20146, mis à jour le 10 novembre 2016. http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/813639/justin-trudeau-donald-trump-c…, page consultée le 15 décembre 2016.
[xxiv] « L’élection de Trump ouvre une “période d’incertitude”, croient Couillard, Lisée et Legault », Radio-Canada, en ligne, paru le 9 novembre 2016. http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/813664/election-trump-couillard-lise…, page consultée le 15 décembre 2016.
[xxv] Lacroix, J.-M., 1996. Histoire des États-Unis, France, Presses Universitaire de France, p. 344.
par Léandre St-Laurent | Nov 7, 2016 | International, Opinions
Malgré le plein déploiement d’un cirque médiatique qui arrive à sa fin, le phénomène Trump reste fâcheux pour tout individu qui cherche à faire sens des courants politiques. Sur le plan idéologique, il est très difficile de définir ce qui constitue l’essence du phénomène. Depuis le début des primaires et de la campagne présidentielle, les journalistes des divers médias dominants se démènent à essayer de saisir le projet de société que Trump défend, d’en saisir la cohérence. À certains égards, cette entreprise est vaine. Trump ne défend pas explicitement de projet sociétal ou de vision perfectionniste et globale du monde social. Avec Trump, nous n’avons accès qu’au déploiement disparate de thèmes. Conséquence alarmante, l’un des deux candidats à la présidence, en plus d’être un outsider anti-establishment, n’a aucun projet explicite et cohérent à offrir quant à ce qu’il voudrait faire de l’appareil politico-militaire de la plus forte puissance au monde. Péril en la demeure. C’est principalement en portant l’attention sur l’inconsistance incendiaire de Trump que les médias prédisent l’implosion de la campagne du candidat, implosion qui n’est jamais arrivée.
Bien sûr, les aspirations du candidat tendent à s’expliciter, depuis la rédaction de la plate-forme du Parti républicain, suite à la Convention de juillet 2016 (1). Les crédos habituels du logos néoconservateur sont affirmés avec force : baisse massive des taux d’imposition et de taxation, désyndicalisation de ce qu’il reste de fonction publique aux États-Unis, engagement d’une lutte juridique quant au statut du mariage homosexuel, possible prohibition de l’avortement. La cohérence du cadrage idéologique n’est toutefois pas évidente. Certains points majeurs des visées de Trump contreviennent drastiquement à ce que l’« exceptionnel conservatisme américain », pour reprendre le terme d’Irving Kristol, grand intellectuel néoconservateur, considère comme mode d’organisation fondamental et traditionnel du pays : la libre circulation des capitaux, ce qui suppose le libéralisme économique. Trump vilipende les accords de libre-échange en ce qu’ils désavantagent certains acteurs économiques du marché américain ainsi que les travailleurs et travailleuses qui y sont soumi-e-s. D’un autre côté, Trump ne défend pas non plus une vision conservatrice anti-libérale de type corporatiste qui revendiquerait un État social organique, imposant une société rigide et segmentée, où tout secteur de la société a un rôle bien précis à jouer – position qui concorderait avec son protectionnisme chauvin. Est ainsi exclue non seulement toute analyse qui ferait de Trump une simple radicalisation du néoconservatisme, mais aussi celle qui interpréterait son projet comme l’affirmation fascisante d’un conservatisme dur que l’on pourrait, par exemple, associer à l’alternative right, mouvance américaine d’extrême droite peu structurée, aux tendances conspirationnistes, prônant un nationalisme blanc et masculiniste, mouvance dite « alternative » face à ce que la droite étatsunienne propose traditionnellement (2). Les aspirations de Trump n’en ont ni la cohérence, ni l’allégeance (3).
Cette difficulté de coller une famille idéologique à Trump ne signifie pas non plus que l’on doive simplement réduire ce qu’il défend à de l’opportunisme politicien et à de la démagogie, sans quoi bien de ses comportements, suicidaires sur le plan stratégique, seraient incompréhensibles. Pour comprendre politiquement ce milliardaire excentrique, il faut le saisir comme l’idéologisation de la figure de l’individu rationnel. La rationalité, ou choix rationnel, doit ici être comprise comme la capacité d’un individu de penser sa propre action en vue de ses propres objectifs (4). Le discours de Trump s’affirme ainsi comme l’acte même de faire un choix rationnel, dans le cas d’une campagne présidentielle, dans le fait même de poser un acte politique victorieux. C’est le choix rationnel lui-même qui est explicitement revendiqué, comme moyen, mais aussi comme fin. Ce que sera l’État américain sous Trump sera ce que Trump jugera rationnel. L’idéologie de Trump, c’est Trump.
Le triomphe de l’individu rationnel
Si Trump apparaît pour certain-e-s comme une avenue raisonnable, c’est parce que nous vivons dans un monde où le fait même d’arriver à nos propres fins est devenu le modus operandi de la vie sociale. C’est ainsi le champ dans lequel une figure comme celle de Trump peut être accueillie qu’il faut analyser, et, par conséquent, la société qui produit ce champ. En 1964, Herbert Marcuse, éminent philosophe allemand, faisait le constat d’un monde industriel affirmant une société « unidimensionnelle », une société qui s’affiche comme dimension unique (5). Cette dimension unique s’explique comme suit : dans cette société, l’industrie pose a priori (indépendamment de toute expérience – dans le cas de l’industrie, indépendamment de toute expérience sociale particulière) une vision scientifique du monde. En d’autres mots, cela signifie que l’industrie contemporaine organise un monde dans lequel la société s’oriente autour de l’édification de pôles où l’exercice d’une science dite « neutre » est possible, et tend à exclure ce qui ne participe pas à cette édification. Pour affirmer et construire ce monde, la pensée valable se doit d’être opérationnelle, c’est-à-dire que ce qu’elle produit se doit d’être conforme à ce qui est effectif dans ce monde scientifique, ce qui inclut également ce qui est effectif sur le plan social. Conséquence majeure : nous assistons à la désintégration de ce que Marcuse nomme la pensée conceptuelle – une pensée qui va au-delà de ce qui, immédiatement, est effectif dans le monde humain, et qui est en mesure de saisir ce qui n’existe que comme potentiel. Restreinte à sa fonction opérationnelle, la pensée se trouve donc soumise à une dimension unique : à ce qui existe dans le moment. C’est au sein de cette matrice conceptuelle qu’œuvre tout individu de notre ère, du moins, en Occident.
Depuis les années 1960, le champ de ce qui est « opérationnel » socialement s’est amplement restreint. Marcuse vivait à une époque d’économie occidentale mixte, où s’équilibraient inégalement socialisme et capitalisme. Depuis la révolution néolibérale entamée à partir de la fin des années 1970 et pleinement affirmée dans les années 1980 (6), ce qui, socialement, ne correspond pas aux lois de l’échange de produits au sein d’un marché capitaliste s’affirme difficilement sur le plan intellectuel, contenu jugé non opérationnel. Le paradigme néolibéral pose une posture épistémologique sceptique face à la théorie sociale. Pour Hayek, probablement le plus grand intellectuel néolibéral, le monde social, qu’il nomme « ordre pratique », est d’une complexité insaisissable pour l’esprit humain individuel. Il y aura toujours un écart majeur entre ce qu’il est possible de rendre concret par la théorie, et ce que cet ordre est dans la réalité. Hayek considère que plus de cerveaux entrent en connexion entre eux, plus l’écart entre théorie et pratique s’amoindrit. À ce titre, Hayek affirme que le moins imparfait des systèmes d’échange de données que l’humanité ait produit est le marché, à travers lequel, par l’entremise du système de prix, les acteurs économiques, par leur pluralité, mettent en commun leurs informations imparfaites.
Conséquemment, la société, en tant qu’économie de marché, ne se pose plus comme un monde d’institutions, de faits sociaux et d’interrelations entre individus, mais comme un champ d’informations et de règles à travers lequel des agents, à titre individuel, font des choix rationnels en vue de leurs objectifs, selon des paramètres de coûts/bénéfices. La politique n’est dès lors plus affaire de projets de société, mais d’édification de règles convenables. Le ou la citoyen-ne n’est plus citoyen-ne, mais contribuable qui fait des choix rationnels. L’individu n’est plus individu, mais « entrepreneur de soi ». Le délitement social que provoque cette vision du monde finit par réaliser ce qu’elle conçoit : une société fragmentée en « agents rationnels ». Le politique ne fait que suivre cette tendance. Dans le contexte du rêve américain et de la compétition féroce qui vient avec, ce rapport à soi n’est que plus vrai.
Ce politique dépolitisé ne saurait non plus se concevoir sans l’hégémonie d’une société de consommation, condition et conséquence du marché, société qui transforme tout acte public en spectacle, le spectacle devant être ici compris comme l’écrivain et cinéaste Guy Debord l’entend : un espace qui se présente comme « détaché », espace qui est l’expression « (…) d’un rapport entre des personnes, médiatisé par des images » (7). Au sein de cet espace médiatisé, les idées et les visions du monde circulent selon les paramètres des structures permettant cette médiatisation, en l’occurrence les structures du marché. Ces représentations circulent donc en tant que marchandises, c’est-à-dire en tant que produits pouvant être échangés entre producteurs et productrices de ces contenus et offerts à un public. La figure de l’individu rationnel est à la fois une image-marchandise qui circule facilement, et à la fois une condition de circulation des idées pour tout individu qui voudrait se frayer un chemin à travers cet univers d’images. Trump est ainsi la conséquence radicale du mode de fonctionnement de la joute politique ainsi que de la manière dont la société du spectacle médiatise l’espace public.
Trump, champion de la domination
Le sociologue Mannheim définit comme caractéristique fondamentale de l’idéologie l’attachement à une particularité sociale réelle posée comme fondement global, voir total de la société. Dans le cas de Trump, c’est le choix rationnel qui est posé comme totalité, le choix rationnel étant lui-même revendiqué comme moteur de politiques publiques. Évidemment, la grande majorité des acteurs du monde politique se revendiquent explicitement eux aussi de leur capacité à faire des choix rationnels, mais c’est toujours en vue d’une certaine vision du monde ou du bien public. Ce choix rationnel est habituellement instrumental. Chez Trump, le but est inclus dans le moyen, et vice-versa.
Savoir si ce cadre idéologique constituera un tournant historique dépend de la victoire ou non du candidat. Indépendamment de l’issue de cette élection, Trump pourrait malgré tout poser comme précédent la normalisation de ce type de figure. À cet égard, le candidat semble déjà avoir radicalisé cette tendance qu’a la société du spectacle à poser le conflit politique comme un match de boxe, où les candidat-e-s assènent et encaissent des coups et dans lequel ces derniers et ces dernières sont évalué-e-s par le public non pas en fonction de ce qu’elles et ils défendent, mais selon leurs capacités à mener le combat. Cette dynamique spectaculaire de l’affrontement n’est certes pas nouvelle quant à l’interaction entre partis politiques, mais Trump constitue un cas particulièrement extrême de la chose, d’où la radicalisation de l’affrontement-spectacle. Ainsi en est-il des derniers mois de cette campagne. Les critiques mainstream anti-Trump ne visent non plus la toxicité du projet politique du candidat, mais plutôt son statut d’agent rationnel. Sont attaqués les prouesses commerciales du personnage, son respect des règles du jeu économique (8), sa connaissance des faits, son caractère présidentiable, la pleine démesure de ses pulsions sexuelles, etc.
Dans cette perspective de domination, tant économique que politique, Trump se présente, lui, comme l’agent par excellence qui sait utiliser sa volonté. Multimilliardaire qui a su s’imposer dans cette jungle économique qu’est l’Amérique. Superstar outrancière du monde du spectacle. Homme à femmes. Taureau fonçant tête baissée dans l’arène politique. Trump se présente comme l’homme d’affaires sans attaches qui sait faire les bons choix. C’est cette capacité, en elle-même, qui constitue son projet politique. Si Trump peut sauver l’Amérique, ce n’est pas dû à un projet quelconque, mais parce qu’il connaît le monde des affaires, qu’il sait faire de l’argent et qu’il est doté d’une faculté unique à s’entendre avec d’autres agent-e-s rationnel-le-s comme lui. Dans cette visée, Trump s’attaque à l’ensemble des représentations traditionnellement érigées par l’establishment politique bloquant cette capacité de domination. Cet assaut ne s’affirme que pour mieux renforcer, par la loi et l’ordre, la coercition institutionnelle, en vidant ce qui reste de vernis démocratique à un régime présidentiel formaté par les aléas de la finance et de la militaro-industrie. L’apparence de liberté démocratique est, pour Trump, ce qu’elle est : une apparence. «The system is rigged. The system is broken [le système est corrompu, brisé] », si brisé que Trump scande à qui veut que les élections sont truquées. Trump est « réaliste ». Mieux vaut cerner l’appareil politique pour ce qu’il est – un univers de mensonge et de violence –, et l’utiliser conséquemment, mais, cette fois-ci, en vue d’objectifs davantage rationnels en ce qui a trait aux intérêts des États-Unis.
Aux vues de la victoire, tous les moyens sont bons. En campagne, l’agir rationnel le plus adéquat est d’écraser l’adversaire, par l’insulte, la diffamation, l’incitation à l’espionnage informatique (9), l’intimidation, voir même la menace. À ce titre, il s’suffit de penser au rapport ambigu que Trump entretient, à la blague, quant à une réaction civile 8 armée de ses supporters contre l’establishement démocrate (10), ou bien de sa menace, en plein débat, de mettre Clinton derrière les barreaux s’il est élu. Dans ses récents retranchements contre Clinton, Trump va jusqu’à délégitimer la mécanique électorale (11).
Pour ce qui est de la gouverne étatique à venir, l’organisation sociale que cette gouverne oriente se doit d’être en diapason avec l’acte de volonté d’un président (Trump) qui fait de l’Amérique un lieu où il fait bon vivre. Ce projet politique radical implique une union organique entre la figure rationnelle posée comme leader charismatique et tou-te-s les autres agent-e-s rationnel-le-s qui, comme Trump, savent ce qui est juste et bon pour ce grand pays que furent un jour les États-Unis et qui peuvent le redevenir. Cette unité n’est possible que par une coercition judicieuse menée avec force, par la loi et l’ordre incarnés en Trump, au mépris, si nécessaire, de la Constitution : sécurisation policière majeure des secteurs pauvres et racisés du pays, torture et crimes de guerre contre les « combattant-e-s ennemi-e-s » (terroristes), censure du contenu perturbant la sécurité nationale (sur internet, entre autres), fichage national des musulman-e-s, interdiction des migrant-e-s arabo-musulman-e-s, édification d’un mur à la frontière mexicaine pour bloquer les migrant-e-s illégales et illégaux.
Évidemment, les États-Unis sont un État de droit, constitué des fameux checks and balances empêchant que s’affirme le pouvoir démesuré du président ou de la présidente. Il y a toutefois un élément majeur du phénomène Trump qui nous empêche de penser le politique selon un découpage traditionnel. Trump n’est pas qu’un candidat. Il incarne un mouvement de masse, et une frange des masses que Trump mobilise a cette particularité d’être excédée, démunie, cynique, fanatisée par le glissement du Parti républicain vers l’extrême droite et, fait important, d’être armée, scénario fort inquiétant. Cette unité forcée implique aussi l’exclusion de celles et ceux qui ne rendent pas l’Amérique grande, bref, celles et ceux dont la rationalité individuelle ne colle pas avec celle édictée par Trump. Il va falloir faire le ménage. Ce ménage, c’est Trump qui peut le faire, en tant qu’il est Trump. It’s time to make America great again.
(1) Voir la plate-forme officielle : https://prod-static-ngoppbl.s3.amazonaws.com/media/documents/DRAFT_12_FINAL[1]-ben_1468872234.pdf. Consulté le 11 octobre 2016.
(2) Pour des précisions quant à ce qui constitue l’alternative right, voir « Trolls for Trump : Meet Mike Cernovich, the meme mastermind of the alt-right ». The New Yorker. 31 octobre 2016
(3) Si certains liens peuvent être établis entre cette extrême droite américaine et le discours de Trump, ce n’est que par la concordance de certains thèmes, et non du fait d’un lien organique entre les deux. À cet effet, voir « Pepe and The Stormtroopers ». The Economist. 17-23 septembre 2016.
(4) Il importe ici de préciser que le choix rationnel n’est pas nécessairement posé comme idéologie. Cette capacité d’ordonner instrumentalement nos propres comportements en vue de préférences individuelles peut aussi se concevoir scientifiquement comme outil d’analyse permettant de faire l’étude comportementale d’un individu œuvrant dans un champ, que ce champ soit politique, économique ou plus largement social, et ce, indépendamment de l’incursion de la rationalité individuelle sur le plan idéologique. Pour un exemple classique du paradigme de l’École des choix rationnels, voir Kenneth A. SHEPSLE, « Rationality : The Model of Choice » dans Analysing Politics, États-Unis, W. W. Northon & Company, 2010, p.14-33.
(5) Hebert MARCUSE, L’homme unidimensionnel, France, Éditions de Minuit, 1968.
(6) Pour des précisions quant à cette période historique, voir les travaux du géographe marxien David Harvey dans David HARVEY, « Brève histoire du néolibéralisme », France, Les Prairies Ordinaires, 2014; ou ceux du journaliste Serge Halimi dans Serge HALIMI, « Le grand bond en arrière », France, Fayard, 2006. L’historien Eric J. Hobsbawm est également fort éclairant : Eric J. HOBSBAWM, « Les décennies de crise » dans L’âge des extrêmes : histoire du cours XXe siècle, Bruxelles, Éditions Complexe, 1999.
(7) Guy DEBORD, « La société du spectacle », France, Paris, Gallimard, 1992, p.10.
(8) Le 1er octobre 2016, le New York Times divulguait l’information selon laquelle Trump n’aurait pas payé d’impôt durant près de vingt ans : David Barstow, Susanne Craig, Russ Buetner et Megan Twohey. 2016. «Donald Trump Tax Records Show He Could Have Avoided Taxes for Nearly Two Decades, The Times Found». The New York Times.
(9) Notamment en ce qui concerne les courriels de Clinton : « Donald Trump appelle la Russie à publier des courriels de Hillary Clinton ». Le Monde. 2016.
(10) Nicke Corsantini et Maggie Haberman. 2016. «Donald Trump Suggests ‘Second Amendment People’ Couls Act Against Hillary Clinton». The New York Times.
(11) « Présidentielle américaine j-23 : Donald Trump instille l’idée d’une élection truquée ». Le Monde. 16 octobre 2016.